HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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20.4.12

29. HENRY DICKSON UTILISE DES PRODUITS MODERNES TECHNOLOGIQUEMENT AMÉLIORÉS

Henry Dickson

Souvenir

Un homme lui avait fait remarqué qu’un jour il s’était regardé dans le miroir.
Vraiment regardé.
Les hommes ne se regardent pas dans un miroir. Tandis que les femmes y passent leur vie.
Les hommes ne se regardent pas. Ils se voient. Juste un coup d'oeil. Comme on regarde le cadran de la jauge d'essence ou le manomètre de la pompe du puitS. L'aiguille est à peu près à la bonne place. Ok! Test fait!
Ils testent pour voir s’ils sont bien rasés, si la moustache est droite, s’il y a du sang. Test fait. Ok!
Et il s'était fait une belle estafilade comme on en avait dans le temps des duels au fleuret.

Parce que la crème à raser chaude ne se trouve que chez les vieux barbiers qui sont tous sur le point de crever. Ils ont l’appareil qu’il faut. Qui fait une belle mousse. Après vous avoir mis une serviette bien bouillante pour assouplir la peau du visage puis vous avoir bien beurré, ils arrivent derrière vous avec leur rasoir sabre, qui n’est pas un sabre. Mais qui coupe aussi bien. 6 pouces de lame nue, métal allemand, suédois, anglais, fine comme du papier. Et qui s'amincit encore au tranchant. On l'aiguise au cuir. Les meilleurs viennent des fabriques où on fait encore des sabres. Les japonais devraient être bons mais ils ne font pas beaucoup de publicité.
Il fut un temps où des tueurs s’en servaient pour égorger leurs victimes. D’une carotide à l’autre. Les artères coupées, vous vous videz de votre sang. On ne peut plus revenir en arrière. Et ça ne se soigne pas. Il faut être habile et rapide sinon, à cause de la pression sanguine, ça pisse de partout. Salissant. On avance et recule pendant que l'autre essaie de boucher les trous avec ses 2 mains. Et quand la gorge est tranchée, dans le même mouvement, les cordes vocales sont coupées et les poumons s’emplissent de sang ce qui fait qu’on ne peut plus crier. On se noie dans son propre sang. Efficace. Technique de commando.
Il faut donc avoir sacrément confiance en son barbier. Ou faire parti des gens qui n’ont rien à se reprocher et ne voient pas pourquoi ils ne devraient pas faire confiance en l’humanité. Ce qui explique qu’il y a moins en moins de clients et de moins en moins de barber shop et que tous ceux qui ont le tour de main sont très vieux.
C'est là qu'arrivent les femmes. Dans l'antiquité, on leur faisait faire la barbe mais en la brûlant aux pointes avec une noix chaude. On la raccourcissait donc lentement. Et il y avait un garde avec un sabre pour la décapiter si elle se laissait aller.
Il y a des hommes, pas tous homo, qui vont chez les coiffeuses. D’abord les coiffeuses ont peur du rasoir sabre, coupe-choux, rasoir droit, comme les autres femmes ont peur des cuisinières au gaz, des barbecues au propane, des machins pour faire de la crème fouettée avec des bonbonnes de CO2, comme pour les carabines à plomb ou à balles de peintures à air, les femmes ont peur de tout.
Et elles vont avoir aussi peur de se couper que de vous couper et vont donc inévitablement vous couper. Car il ne faut jamais trembler avec ça. Un rien et vous avez un oeil de moins. Ce qui va les énerver.
Et elles risquent de vous tuer en balançant le rasoir et en implorant le ciel.
Sans compter que s’il y a un endroit qui pue dans le monde, à part une porcherie, une usine à pneus, c’est bien un salon de coiffure. Les trucs qu’elles se mettent dans les cheveux pour conserver la peignure. Il faudrait leur accrocher un écriteau, comme on fait pour les chocolats sans arachide. Allergique s’abstenir. Cancérigène. Tchernobyl.
Donc il reste à s’acheter un truc pour chauffer la mousse. Le truc commercial si on peut. Si on trouve. Et le faire en sortant de la douche lorsque la peau est douce. Souple. Chaude. Parce que se raser la peau froide avec de la mousse froide sortant d'une canette sous pression glacée…
Pire, avec les lames de rasoirs plastiques jetables.
Si on transpire, on peut le faire à sec. Mais il est rare qu’on ait l’occasion d’aller dans le Sahara pour se raser.
Les hommes ne se regardent pas dans le miroir, il n’y a que les femmes. Et il vaut mieux que ça reste ainsi.

Et ça déprime vite.

Celui-là, parce qu’il n’avait rien à faire l’avait fait. Il a été surpris. S’est dit : mais qu’est-ce qui m’est arrivé? Un accident d’auto! Il venait de s’apercevoir qu’il avait 70 ans. La dernière fois qu’il s’était vu, vraiment vu, mais pas longtemps, remontait à 50 ans.
On a la même impression pour les autres lorsqu'on retrouve un voisin de bureau ou de pupitre 20 ans plus tard. Si on l'a connu enfant et qu'on a gardé ce souvenir, le revoir après que 20 ans de vie lui ait passé dessus. 40 ans. Un accident d'auto. Une succesion d'accidents d'autos. Carambolage. Perte totale. La machine à asphalter par la suite. Dessus.

Ce que la vie peut faire vous donne des frissons.

Et on se dit que soi-aussi.

La réalité est horrible.
Les hommes sont donc sage sans le savoir de ne se regarder que brièvement, pas souvent, vite, obligés, dans un miroir. Check! Ok! Test!
Les femmes sont toujours à se regarder. C'est pour ça qu'elles sont folles.

C’est pour ça qu’elles voient la première ride apparaître. La patte d’oie. La deuxième. La suivante. Et, de mois en mois, les rides qui creusent. Elles les suivent à la trace, les voient serpenter, sillonner, s'enfoncer, détruire leur belle peau. Elles sont terrorisées. Et deviennent la bénédiction des chirurgiens et de l'industrie de la beauté. Des milliards.
Mais c’est tout à fait normal. Elles ne sont plus jeunes. Elles vieillissent. Vont vieillir de plus en plus. Devenir de plus en plus moches. Et mourir. Le monde est bien fait.
Sinon, il y aurait 130 milliards de gens sur Terre, si tout le monde qui était né était encore là. Déjà qu’à 7 milliards, ça fait un peu tassé.
Mais les humains savent ce qu’il faut faire. Et il y a toujours quelqu'un qui le leur dit. Quand ils se sentent tassés, ils deviennent tout excités. Agressifs. Les rats sont comme ça.
Et ne font pas comme les Lemmings en courant tous vers le premier précipice ou sur la plage à la marée montante. Non, ils s'entretuent. Se font la guerre. Et s’entrégorgent, s'entrétripent. Tuent.
Si c’est une bonne grosse guerre, il en meurt des millions et des millions.
Et les autres, une fois que l’hémorragie est terminée, comme lorsqu’on vient de donner son sang à la Croix Rouge, se sentent apaisés, plus léger.
*

20 avril. État 2