HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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17.3.13

328.24. OÙ ON OBSERVE QUE LA PETITE BLONDE N'EST PAS ENCORE MORTE MAIS QUE ÇA NE TARDERA PAS.

Henry Dickson revint à lui.

- Wow !

Il regarda autour de lui. Chercha la hache dont il sentait encore la forme et le poid et le poli du bois du manche de hache dans sa main.

Sa main était vide.

Pas de hache par terre.

Monsieur Dickson regarda autour de lui.

Tout était si vrai.

Comme s'il avait vécu une vie parallèle, seconde, aussi vraie que l'habituelle. Encore plus vraie. Plus claire. Si évidente. Dont chaque moment était inoubliable. Remplie de grandes actions. De ces événements inoubliables que l'on ne vit qu'une fois. Lorsque la vie bascule. Ou branle. Ou tremble.

II fallait faire un effort de mémoire et de rangement pour bien séparer ces vies. Comme 2 rails d'acier. Aussi fermes et brillants et luisants.

Et

Ensuite mettre de côté l'autre vie. Qui s'affadissait déjà. Signe que c'était bien une autre vie. Pas tout à fait vraie. Ou pas aussi vraie. Mais si vraisemblable.

Et on ne remarque cette différence que lorsqu'on en sort. Lorqu'on est sur le point de sortir. Quand il y a dehors et, déjà, un peu lointain, dedans ou hier ou déjà.

Et, en un instant, l'autre vie, la seule vie possible s'engouffre. Et prend toute la place.

Et l'autre vie se dissoud.

Monsieur Dickson regarda donc autour de lui. Chercha. Trouva.

La petite blonde était encore là.

Au bout du fauteuil. Et non étendue sur la table.

Avec toute sa tête sur ses épaules.

Comme il n'y avait pas de hache dans sa main ni par terre, comme elle avait encore sa tête e son cou, il ne...

C'était encore un rappel de l'autre vie.

Un rêve.

Hallucination.

Mais tout n'était pas normal.

Elle était bien là.

Endormie.

Inconsciente.

Couverte de sang.

Il avait de la difficulté à abouter ses idée. Lui qui aimait penser froidement. Voir les idées et les aligner comme des objets. Que l'on place, avec qui on joue.

Il était donc encore emmêlé dans l'autre rêve. L'autre vie. L'ailleurs.

Le sang.

Tout ce sang.

Mais elle avait encore sa tête.

Il l'avait battu?

Ne s'en souvenait plus ?

Il se demanda si elle respirait encore.

Elle respirait.

Bon. Ça.

Bon. Bon. De respirer.

Elle avait une robe de chambre.

Il ne se souvenait pas qu'elle en portait une.

Robe de chambre épaisse et blanche.

Tachée de sang.

Puisqu'elle respirait, il fallait... il valait mieux la réveiller. Ou peu importe comment on appellerait cet état d'esprit si ce n'était pas tout à fait le sommeil.

Il l'appela par son nom.

Plusieurs fois.

Elle se réveilla difficilement. Si on peut appeler ceci réveil. Comme on aurait pu appeler l'état précédent sommeil.

_ Wow!

Elle le regarda. L'observa les yeux à moitié ouvert. Se rappela plus tard qui il était et ce qu'il faisait là.

_ Wow!

Elle lisait très bien dans son esprit.

_ Tu as fait le même rêve que moi?

_ D'après toi, c'était un rêve?

_ Il y en a tant de sorte.

Elle se rappela qu'elle avait soif quand elle se mit à tousser.

Essaya de se lever. Toma assise sur le fauteuil.

_ C'est comme si j'avais bu. On a bu ?

Il haussa les épaules. Ne se souvenait pas. Il n'y avait pas de verre ni de bouteille. Nulle part.

Elle se rappela quelques temps plus tard qu'elle avait un corps et le regarda.

_ Je suis toute mouillée.

_ Tu penses qu'il faut aller à l'hôpital ?

Elle regarda ses bras, ses mains, se concentra sur ses doigts. Les fit marcher, bouger, les agita, actionna ses articulations. Puis celle de son poignet.

Regarda ses pieds nus.

Fit bouger ses orteils.

Ses stigmates s'étaient ouvertes. Elle n'avait plus ses bandages. Et le sang coulait des plaies et des trous de ses mains et de ses pieds et de son coeur. Le tissus de robe de chambre collait à elle.

Elle mit la main entre ses cuisses et sous sons dos.

_ Charmant!

Elle avait eu ses règles. N'avait pas pensé prendre les précautions habituelles. Ce qui faisait qu'elle était assises sur une grande flaque de sang.

_ Le coussin est foutu.

Le coussin était foutu. Et le coussins du dossier du fauteuil.

_ Et je dois avoir le cul rouge comme une femelle Bonobo en chaleur. La robe de chambre est foutue.

Elle passa sa main sur son nez.

_ Mon nez coule.

Elle retira sa main couverte de sang.

_ Et je saigne du nez.

Elle tâte sa joue, son ventre.

_ Est-ce que tu m'a battue?

_ Je ne m'en souviens pas.

_ Je n'ai mal nulle part. Je me sens juste un peu faible.

_ Tout le sang perdu. On va à l'hôpital.

_ Non.

Elle essaya encore se lever. Glissa dans la mare de sang sous ses pieds et retomba assise.

_ Si tu continue à couler comme un érable au printemps, tu ne passera pas la nuit.

_ On est la nuit?

Bonne question, il ne savait pas. Il regarda les fenêtres au loin. Oui, on était la nuit. Impossible de savoir l'heure.

C'était la pleine lune. Ronde et basse. Blanche. Comme un oeil dans le ciel noir. La lune des fous.

Derrière la fenêtre, la grosse lune qui les observait de son oeil borgne.

_ J'imagine qu'il est un peu trop tard pour être gênée. Une femme qui perd son sang devant un homme, s'il n'est pas son médecin.

_ Dis-toi que tu aurais pu vomir.

_ C'est vrai, j'aurais pu vomir.

_ Ou avoir la diarrhée. Ça arrive aux voyageurs qui vont au Mexique. Parfois dans l'avion. Ou l'autobus. Direct sur le tête du passager avant. Les petits estomacs et intestincs des occidentaux peu habitué au changement.

_ Oui. On pourrait dire que ça aurait pu être pire.

_ Conseil gratuit.

_ Et tu ne m'as pas coupé le cou.

_ Tu as fait le même rêve que moi ?

_ Ce n'est pas un rêve. C'est la maison. C'est la pleine lune. Il y a encore des choses que tu ne comprends pas.

_ Tu aurais pu mourir.

_ Qui te dit que je ne suis pas morte?

_ Il y a des années que je pense que je suis déjà mort. Quelle importance.

_ Si tu ne tiens pas à la vie plus que ça, la maison te tueras.

_ J'y ai pensé. Je pense encore que si elle ne m'a pas tué, comme des tas d'autres avant, c'est que je m'en fous. Les choses disparaissent. Et après. Les choses réapparaissent. Et après. Il y a des ombres au pied de mon lit. Des ombres qui ressemblent à des gens. Des gens qui me regardent. Des pleurs en haut quand je suis en bas. Des pleurs dans la cave quand je suis dans la cuisine.

_ C'est le vent.

_ On dit ça aux enfants. Le chat qui disparait. Le chat qui n'est pas là. Le chien qui n'était pas là. La maison vide. Et tout à coup: un chat et un chien.

_ C'est la maison.

_ Je voyage sans savoir vers où. J'arrête à côté d'un chemin et au bout du long chemin il y a une maison. Parce que j'ai soif. Il y a à côté du chemin une vieille pancarte «À Vendre» «Directement du propritéaire». Je m'en fous. Je voyage. Je suis un chemin puis un autre. Parce que je vais nulle part. Et parce que je viens de nulle part et que je n'y retournerai pas.

J'aurais pu avoir soif encore plus longtemps et m'arrêter au village suivant. Je vais en auto dans le sentier de terre menant au perron de la maison et je vois la porte s'ouvrir et je vois 2 fous. Un fou et sa folle sortir en courant. La femme est encore plus folle que lui. Tout juste s'ils ne tombent pas de l'escalier cassé. Je leur demande si je peux avoir de l'eau.  

La folle retourne dans la maison me chercher un verre d'eau et me le ramène en manquant encore une fois se tuer dans l'escalier.

J'ai l'impression d'entrer dans un magasin en faillite. Le proprio attend le huissier. Et je suis l'unique client de la journée - les gens n'aiment pas le magasins en faillite et les malades - Et je suis celui qui peut les sauver en achetant quelque chose. Mais je n'ai besoin de rien.

L'eau était froide et bonne et je n'avais plus soif.

Et les 2 fous me regardent plein d'espoir.

Ils me disent tous les 2 que la maison est à vendre. Je leur ai dit que j'ai vu la veille pancarte. Il y a probablement des année qu'elle est à vendre. Souvent les gens dans cette situation, enlève la pancarte l'hiver et la remette l'été. Dans l'espoir qu'un touriste passera. Rien de pire qu'une pancarte qui reste là indéfiniment. Les visiteurs, s'il y en a, comprennent que la maison a un vice caché. Que tout le monde du coin le sait. Raison pourquoi persnne n'en veut. Et que si ça dure depuis des années, le vice doit être sacrément vicieux.

Je répète que je n'ai pas envie d'acheter une maison, leur maison, n'importe quelle maison. Et j'achète leur maison.

Ils disent un chiffre.

Surprise.

Le montant en cash qui me restait dans le coffre de l'auto. Si on veut voyager sans laisser de trace, il faut payer en billet. Sinon, avec une carte de crédit ou de débit ou des chèques ou des billets American Express, c'est comme le petit poucet. On te suit à la trace.

C'est peut être quelque chose dans l'eau.

J'achète.

J'aurais pu l'avoir pour moins cher. Ils avaient envie de la donner. Ils auraient pu. Mais je comprends plus tard qu'ils ne pouvaient pas. Ils ne pouvaient pas partir de la maison ou la maison ne les laissera pas partir tant qu'ils ne l'auront pas vendu à quelqu'un. Quelqu'un qui restera là. Ils auront beau aller ailleurs, loin, ils ont essayé, la maison les retrouve toujours et les ramène. C'est comme s'ils n'étaient jamais parti.

J'avais du papier, on écrit l'acte de vente sur le coffre de l'auto. Et je leur fait signer et ajouter leurs emprentes digitales.

La maison est peut-être endettée, on va peut-être la saisir, mais au prix où je l'ai payer, je rentre dans mon argent si je considère que c'est un loyer qui dure quelques mois.

Ils ne veulent pas retourner dans la maison et j'appelle pour eux un taxi qu'ils attendent avec moi. Ils repartent sans valise, avec leur linge sur le dos. Et mon verre d'eau est encore dans mes mains. Leur verre d'eau. Je peux en faire ce que je veux. Ils ont même laissé leur auto dans le garage.

On aurait dit des prisonniers qui viennent de s'évader.

Et je les regarde disparaître au bout du chemin dans le sable.

Bizarre de journée. J'allais tout droit. Et tout d'un coup, me voilà propriétaire. Les clés sont à l'intérieur. Ils m'ont dit à peu près où, ils ne s'en rappelait plus.

Et j'entre dans ma maison ou comme les gens du coin l'appellent: la maison.

Et je dors un mois.

Ensuite, il y a toutes sortes de choses.

_ Et le chat.

- D'abord le chat.

_ Et la vieille femme qui faisait le ménage et qui vient me dire bonjour parce qu'elle s'en va à l'hôpital parce qu'on lui a diagnostiqué un cancer des poumons. Elle ne fumait jamais. On lui a dit qu'elle n'en sortirait pas. Elle venait dire bonjour aux anciens propritéaires pour qui elle nettoyait. Elle ne savait pas qu'ils étaient parti. Elle me trouve. C'est elle qui la première m'a parlé de la maison. De la hache. Du mari qui avait tué sa femme. Juste là dans le salon. À 10 pieds d'ici.

Et elle m'a dit bien d'autres chauses.

Et ce n'était rien par rapport à ce que j'ai découvert par la suite. Et j'ai découvert le village. Au début, tout le monde me regardait bizarre. Comme si j'étais transparent. Ou mort. Comme si je portais malheur.

- Dans les petits villages, les nouvelles vont vite. On savait que la maison avait été vendue. Mais pas à qui. On surveillait ce qui allait se passer.

_ Plus tard, j'ai compris que le village est comme divisé en 2. Il y avait encore et il y a toujours des gens qui me regardent comme si j'étais mort. Et il y a les autres. Les autres qui lorsqu'ils, je devrais dire «elles» ont compris que je ne mourrais pas tout de suite, que je ne maigrissait pas, que je n'avais pas l'air malade ou pas fou...

_ Ou pas plus que d'habitude.

_ Si tu veux.

_ Ça m'a surpris. On s'est mis à me donner du pain, des tartes, des bonbons au chocolat, du sucre à la crème, tout dépendant de la saison. Des femmes que je ne connaissais pas. De tout âge. Et les plus jeunes me faisaient de l'oeil. Pas farouches. J'aurais pu piger comme un enfant dans un plat de bonbons.

_ Pendant un moment, on a cru que tu étais homo... Pas qu'on est contre. Ou pour. Mais dans le village, il y a 2 femmes pour un homme. Et c'est un peu injuste si...

_ On m'appelait monsieur. Et bien vite, par mon nom. Même si je ne l'avais donné à personne. On me donnait toujours des pâtés de viande. À ce régime, si j'avais mangé tout ce qu'on m'a donné, j'aurais engraissé comme un cochon.

_ Tu n'as rien jeté...

_ Je ne jette pas les cadeaux. J'en ai fait congéler. Et j'en ai donné à des amis. J'ai bien le droit de donner des cadeaux en trop. J'ai pensé qu'on pouvait vouloir m'empoisonner et puis je m'en foutais.

_ Qui t'a donné cette idée.

_ Les autres habitants du village. Si tu avais vu avec quel air ils me regardaient. Il y a la vielle expression: si les yeux pouvaient tuer. Le même air qu'hier, encore. Mais je m'en fous. Eux m'auraient empoisonné sans doute s'ils m'avaient donné des cadeaux mais ils ne m'en donnaient pas. Je suis encore invisible. On n'a pas tous les jours l'occasion de se voir comme si on était mort. Comme un esprit qui flotte.

_ Mais il y avait les autres.

_ Et, peu à peu, j'ai appris pour les cousines.

_ Et les soeurs, les nièces, les filleules.

_ Et il y a eu le squelette dans la cheminée. Et la morte dans la chambre du haut. Momifiée. Et son téléphone sur la table de nuit qui sonnait comme si quelqu'un essayait encore de l'appeler. Même s'il y avait bien 70 ans qu'elle était morte. Et on ne sait pas encore qui sait. Et comme disait quelqu'un: que les morts enterrent les morts. Et c'est toi qui m'a aidé à tout démantibuler. Le fou et sa folle avaient passé des années à faire tout un réseau de couloirs et de tunnels dans le haut. Autour de la chambre de la morte. Mais c'était avant eux.

Et il y a les os qui sortent de terre au printemps. Avec les roches. Comme s'il y avait eu un cimetière ici. Et les enfants et les bébés morts enterrés au pied du grand chêne derrière la maison. Tous ces petits os.

_ On dit qu'on les broyait pour faire du savon.

_ Pourquoi pas. Produit du terroir.

_ Il faudra en reparler.

_ C'est la nuit. Il y aura peut-être demain. Il faut que tu te couches. Mais avant que tu prennes un bain. Si on est capable de t'arracher ton linge sur le dos. Avec tout ce sang séché.

_ Tu as raison. Je vais y aller.

Elle essaya bien d'y aller mais tomba presque par terre.

_ Je crois que je ne vais aller nulle part.

_ Je crois que je vais te donner un bain. Comme ça tu sentiras bon.

_ Je pue?

Elle souleva le haut de sa robe de chambre pour sentir sa peau.

_ Je suis capable de monter toute seule.

_ Je ne crois pas.

Et, en effet, elle était incapable de monter l'escalier toute seule. Pas plus que de s'extraire du fauteuil. Sans compter que ses pieds sanglants et glissants ne l'aidait pas tellement.

_ Bon. Dodo les petites filles.

Elle regarda le grand escalier. Trop de marche. Elle se sentit encore.

_ Il y a 3 possibilités. Je te monte sur mon épaule comme un sac de patates. Ou sous le bras, comme une dinde. Ou dans mes bras, comme une amoureuse. Ou un camarade soldat blessé au front qui ne peut plus marcher.

_ Comme une dinde...

Elle réféchit.

_ Je pense que je vais rester ici et continuer à saigner.

_ Tu ne sais pas ce que tu dis.

_ Nous les femmes, on est souvent comme ça.

_ Dans ce cas, pour ton bien, je vais utiliser la force contre toi.

Il la regarda.

Elle l'observa.

_ La seule façon de m'en empêcher est de me tuer.

Il lui sourit.

_ Je sais que tu en est capable.

_ Moi !?

Comme une petite fille prise en faute.

_ Et je n'ai pas peur de la mort.

Elle étudia un moment la question. Allait-elle le tuer? Au point où elle en était avec tout ce sang répandu. S'il n'était pas tout à fait dégoûté de toutes ces bonnes femmes qui se répandent partout. Bien sûr, un compagnon qui regarde sa compagne accoucher en voit plus. Mais on n'en était pas encore là. Il faudrait le convaincre ce qui ne sera pas facile.

Elle décida donc de ne pas le tuer. Et sourit.

Il lui rendit son sourire.

_ Dans tes bras. Si tu as la force?

Il se leva, alla vers elle et lui tendit la main qu'elle prit du bout de ses doigts. Comme une cavalière qui allait danser.

_ Tu prend ton bain avec moi. Comme d'habitude. On a à jaser.

Et il la prit dans ses bras et monta avec elle le grand escalier. Elle, comme une amoureuse.

*

17 mars 2013. État 1