HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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31.3.13

333.29. PÂQUES. SANS RÉSURRECTION. CAFÉ DE QUALITÉ. LAIT 3.25%. BELLE MOUSSE. OEUFS AU CHOCOLAT. 75%.

Henry Dickson ouvrit la petite lumière du tableau de bord pour lire et regarder le programme du cinéma du Cégep. Demanda à la petite blonde si la lueur la gênait pour conduire. Elle dit non. Elle sentait bon. C'avait été une belle journée. Ce serait une belle nuit.

Ailleurs.

Dans la grande ville, un homme se désolait. Il avait encore exagéré.

Il avait été méchant.

Il avait beau dire qu'il ne recommenrait plus. Comme un boulimique devant un sac de chips. Trop de sel. Trop de gras. Trop de patate. Féculent. Bon à s'en lécher les doigts.

Il contemplait la tête qui gisait sur le sol.

Il avait beau essayé de se calmer, de méditer et de lire les meilleurs philosophes, son tempérament agressif prenait régulièrement le dessus.

Certains philosophes expliquaient son cas. Quelque-uns l'approuvaient. Comme Nicholas Machiavel. Leo Strauss.

Et l'auraient approuvé. Félicité. Remercié.

Après tout, le fort à tous les droits sur le faible. C'est ce que disaient les nazis qui ne faisaient que répéter ce que disaient déjà les Romains. Et tous les empereurs du monde.

Mais il n'aurait pas dû.

Après tout cet homme ne lui avait rien fait.

Il venait de tuer une femme.

Est-ce que ça le regardait?

Il allait s'en aller lorsque l'autre le remarqua. Et voulut s'en prendre à lui.

Erreur.

Sa tête volait dans les airs au même moment qu'à l'intérieur quelques circuits neuroneux exploraient la possibilité qu'il soit en train de faire une erreur. La dernière de sa vie.

Et ce fut sa dernière.

Et le dernier moment de sa vie.

C'étaient les circonstances.

Il voulait pourtant arrêter.

Comme les chips. L'alcool. La cigarette. Les voitures sports. Les jolies femmes. Les adolescentes. Les petites filles.

Peu de temps avant.

Quelques temps avant.

Peu de minutes.

C'était un petit garçon. Il passait et l'avait vu en train de terroriser un plus petit que lui. La terreur ramenée à une farce. Le plus grand. Probablement 5 ans. Le plus petit, peut-être 4 ans. Une tête de plus grand suffisant. Des bras plus longs. Et l'$ passe d'une poche à une autre. Le tout en pleine rue. C'aurait pu être à l'école. Mais ils étaient trop jeunes. L'école sera un vivier de choix pour cette petite brute précoce.

Les faibles sont fait pour être dévorés.

Ainsi le veux la Nature.

Prédateurs et proies.

Un nombre limités de prédateurs et de carnassiers et un nombre illimité d'harbivores. Réserve de viande sur pattes. Ou à nageoires. Ou à ailes.

Et la politique, la religion, le système industriel, financier, militaire ne faisait que répéter la même lente digestion.

C'avait été un réflexe. Probablement le sang gène de ce petit carnage enfantin. En pleine rue. Sur le bord d'un trottoir.

Il avait empoigné l'enfant de 5 ans et l'avait lancé dans la rue. Il était retombé sur l'asphalte. Roulé un peu. Et l'auto qui arrivait lui roula dessus. Et la suivante écrasa comme une banane sa tête. Une jolie tête. Il aurait aimé à l'époque où il aimait les enfants de cet âge. Maintenant, il préférait les fillettes. On lui avait expliqué en prison que c'était plus normal. Ou il avait mal compris.

La vie moderne est parfois difficile à déchiffré. Souvent contradictoire.

Et il faisait comme à chaque fois.

Il s'adaptait.

Faisait ce qu'on attendait de lui.

Pour rester invisible.

Ou le redevenir lorsqu'il avait été remarqué.

Une sorte de jeu.

L'enfant écrasé était plus loin. Il y avait eu encore d'autres autos. Même un camion pour l'achever. Mais à cet âge, on n'a pas tant d'os et pas bien fragiles pour résister à tant de roues. Même en caoutchouc.

Sa victime s'était enfuie. Très contente d'avoir conservé son $, son jeu video, ses souliers.

Quelle leçon retiendrait-il de cette fable morale en action?

Difficile à dire.

Petit théâtre rural ou asphalté. Improvisée. Presque poétique.

Encore une autre flaque de sang.

C'était son destin.

Il devrait travailler pour la Croix Rouge. La Société Canadienne du Sang. Héma Québec. Comme on l'appelle depuis que des médecins aient achetés et distribué du sang contaminé à des hémophiles. On l'achetait à ceux qui vendaient leur sang. C'était interdit ici. Mais pas aux USA où on apprécie les pauvres. Drogués, sidatiques, hépathiques. Et on l'achetait d'un distributeur. Pendant un certain temps, on fit semblant d'ignorer. Puis quand on ne fut plus capable de faire comme si, on se trouva pris avec des réserves de sang inutilisables. Sauf si on les utilisait. De toutes façon les cancéreux n'en avaient pas pour longtemps à vivre. Quand vous êtes rendus à avoir besoin d'une transfusion de tout votre sang chaque semain ou tous les jours, vous êtes aussi bien morts. C'est ce que se dirent les médecins. En France. Aux USA. En Chine. Japon. Et comme les médecins et grands patrons étaient des gens bien, on n'allait pas leur faire des misères pour quelques milliers de séropositifs de plus. Ou d'hépatites alphabétiques. Il aimait ce genre de fable morale si humaine comme les Mystères qui se jouaient sur le parvis des cathédrales eu Moyen-Âge.

La tête gisait là, par terre, sur l'asphate.

Elle avait volé dans les airs quelques instants après s'être détaché du corps qui la supportait un moment plus tôt. La mort fut rapide, probablement indolore. Et brève. La seule chose que l'on peut espérer dans cet univers.

Et c'était ce jour-là.

Il y avait une église pas loin.

Où, comme partout dans ce monde, on répétait la cérémonie qui rappelait un moment bien ancien. Un souvenir.

Il avait tellement de souvenirs.

Avait envie d'en distribuer.

Souvenirs à vendre. Non à donner. Il en avait déjà trop. Gratis. Et ne les ramenez pas. 2 pour 1. Seule condition. Si vous partez loin avec et ne revenez pas vous plaindre, ils sont à vous.

Il avait eu beau lui dire de faire attention, il n'écoutait pas.

À Rome, on ne manquait pas de Dieu, pourquoi un de plus?

Pourquoi pas?

Rome tolérait tout. Il suffisait d'obéir. D'éviter les rares choses qu'elle ne tolérait pas. Et alors, elle était impitoyable.

Et des hommes ou des femmes qui se prétendaient inspirés par une ou des divinités, guidés par eux ou elles ou, parfois, des animaux mythiques, des sources, des rivières, les nuages, les pierres.

Qui faisaient des choses illégales, qui refusaient de voir en l'empereur un autre dieu - aucun empereur n'aurait osé prétendre être le seul dieu. Ils, eux  tous, ne demandaient que d'être adoré. Même brièvement. Simplement faire comme si. Il n'y a que les paysans qui croient vraiment à la religion. Parce qu'ils ont besoin que leurs vaches guérissent. Qu'il pleuve. Ou arrête de pleuvoir. Qu'il ne gèle pas trop vite. Il leur faut un dieu utile.

Et l'empereur était un dieu utile.

Après, la vie pouvait se passer comme on voulait ou pouvait.

À quoi sert d'avoir des principes si on en meurt?

Mais de mauvais citoyens arrivaient de loin pour prétendre qu'il n'y avait qu'un dieu. Ou plusieurs. Mais que seuls le leur ou les leurs étaient véritables. Ils n'avaient qu'à faire un temple de plus, et ajouter leur idole et statuette à toutes celles qui existaient déjà.

Prétendre à un monopole de la divinité était menacer la paix et l'ordre de la ville et de l'univers. L'Histoire était pleine d'exemple d'hommes et, pire, de foules, devenues folles et suivant un fous. S'en prenant à d'autres hommes ou d'autres foules ou d'autres temples de dieux concurrents.

On ne pouvait laisser de telles choses se passer sans risquer la dissenstion ou la guerre. Car les hommes sont incapables de débattre longuement de vues opposées. On les envoyait donc au Cirque avec les lions. Libre à eux de faire tous les miracles qu'ils voudraient. De convaincre les lions, si possible.

Des miracles, il y en avait partout. On en vendait au marché.

Mais rares étaient ceux suffisamment puissants pour diminuer l'appétait d'un lion. Ou assoupir un tigre.

Malgré la sévérité de Rome, les martyrs comme ils s'appelaient. Ou les criminels comme les juges les nommaient, se multipliaient.

À l'époque, il ne croyait à rien. Maintenant, il ne croit à rien. Même s'il aurait toutes les raisons ou assez de raisons pour ce faire. Ce n'était pas dans sa nature. Il était romain. Ce que les historiens tardifs appellerait la Rome décadente. Tolérante. Ou on pouvait s'accoupler avec un homme, un enfant, un animal si on faisait parti de l'élite. Le reste du peuple devait se contenter d'une femme. Car les femmes sont les seuls animaux capables de fabriquer des enfants. On avait besoin de citoyens robustes pour les soldats. Et la guerre. Et lorsqu'on se désintéressa du métier des armes, comme il fallait toujours des soldats pour protéger l'empire, on engagea n'importe qui.

Et, comme il arrive toujours, les forts dirigèrent les faibles. Sauf que c'était maintenant, eux, les faibles. Eux qui avaient dirigé le monde.

Et lui-même avait contribué à la fin de ce monde.

À son époque, on condamnait les meurtriers. Et, dans ces jours nouveaux, on les condamne encore. Quoiqu'on fasse bien attention de réserver ce terme à quelques activités qui ne concerne que le commun.

Même dans ces jours, les meurtres et assassinats collectifs que sont les guerres ne son pas encore considéré ainsi. On érige encore des statues aux assassins. On avait érigé des statues à son image. Toutes avaient été détruite. Le temps ne lassant rien si on lui laisse suffisamement de jours.

Combien avait-il tué de gens?

Des millions.

Combien de guerre avait-il .. disons... participé?

Il les avait toutes faites. Du moins les plus importantes, celles dont il reste des souvenirs. On ne peut tout simplement être partout à la fois.

Il avait même détruit une civilisation entière.

Tué son père, sa mère, ses frères, ses soeurs, ses fils et ses filles.

Il n'avait aucun remords ni regret. C'était de la politique. Si le meurtre est nécessaire, il est donc obligatoire, donc meurtre il y aura.

Mais il n'était pas un monstre. Si on peut tuer quelqu'un sans le faire souffrir et qu'on le fait souffrir, on est un monstre et un mauvais chef.

Même Gengis Khan pensait une telle chose.

Pourtant, il avait fait tuer des millions de gens.

Il avait été oublié. Puis son peuple de guerrier et de rois et de princes et d'empereurs était retourné élever des ânes. Et on s'était ressouvenu de lui et lui avait érigé une immense statue de métal qui faisait plaisir aux touristes.

Son gigantesque tombeau était là quelque part. Il suffisait de le chercher pour le trouver. Mais on préférait le savoir là. Il portait bonheur. Avec toutes les épouses enterrées vivantes ou étranglées ou égorgées.

Le tombeau du premier empereur de Chine, le grand réunificateur, était là aussi. Plus ancien. Une montagne remplie de mercure.

Comme tous les autres, c'était un fou. Mais il aimait les fous. Il en était probablement un lui-même.

Seuls le fous comprennent de monde. Puisqu'ils l'ont créé à leur image.

Il fit rouler la tête au bout de sa botte. Elle roulait bien.

Un autre homme inutile.

Il y avait de la musique dans l'église. Il se sentait attiré. Il fallait qu'il lui parle.

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31 mars 2013. État 1

Morts: 2