HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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17.8.12

219. UNE AMIE DE MONSIEUR DICKSON RENCONTRE UN CHANTEUR FRANÇAIS. RENCONTRE INOUBLIABLE.

Henry Dickson était sur le perron de sa galerie en train de contempler la lune lorsqu'une sonnerie caractéristique sortit de la poche de sa veste. Une amie. Chaque amie avait sa sonnerie particulière ce qui permettait de savoir qui appelait et si on voulait répondre avant même de voir le numéro sur l'afficheur du téléphone Google. Certaines amies préféraient le courriel, d'autres, plus jeunes encore, c'étaient FaceBook ou Twitter comme si elles voulaient que la planète entière soient au courant de leurs émois.

Mais il ne répondait pas. Heureusement, elles avaient d'autres amis plus jeunes que lui avec qui elles pouvaient dactylographier sans cesse. On n'a aucune idée de la profusion de tout que contient le cerveau des femmes tant qu'on les a pas vu s'épancher avec frénésie sur leur téléphone. On était déjà au courant pour les adolescentes d'une autre époque avec les téléphones où il suffisait de parler. Maintenant, le téléphone étand sans cesse ses possibilités. Comme si depuis la création d'Éve, elles attendaient que le progrès accèdent enfin  à leur cerveau. Alors elles pourraient s'étendre sur le monde qui n'a aucune idée de ce qui l'attend.

Et, comme la petite blonde, elles peuvent vous parler, pianoter avec les pouces, écouter de la musique avec les mini-écouteurs aux oreilles en chantonnant, tout en vous parlant. Et, miracle, elles semblent vous comprendre. Et pouvoir ensuite vous répondre d'une manière à peu près sensée.

Rien qu'à les voir faire, vous êtes épuisés pour elles. Comme si vous étiez devant une sorte de super ordinateur qui risque de griller vos circuits si vous restez trop près. Ce qui arrivait aux anciens insectes se trouvant prisonniers des circuits et des lampes des anciens Éniac. Ou les oiseaux modernes dont les ailes ont l'imprudence de passer entre des transformateurs d'une centrale électrique.

L'équivalent masculin est une dose de cocaïne dont les effets sont aussi passionnats qu'efficaces mais brefs. Tandis que pour pour les femmes, à cause de leurs hormones particulières, c'est permanent.

Pour des raisons de santé, monsieur Dickson avait préféré abandonner la coke et l'héroïne mais ne disait pas non à l'opium. Qu'un soldat de ses amis prélevaient discrètement sur les milliers de tonnes qui sortaient régulièrement d'Afghanistan en avions cargo militaires avec la bénédiction des armées d'occupation.

Principal produit d'exportation du pays, principale source de devises avec les subventions, les enveloppes, rançons et pots-de-vins aux Talibans et seigneurs de la guerre, véritables maîtres du pays simili-démocratique, comme il y a du simili poulet vendus en tranches dans les boucheries, viande (on ne le sait pas vraiment) qui n'a jamais connu de poulet et qui n'a de poulet que le nom et ne goûtera donc jamais le poulet mais qu'on mange ou avale si on es pauvre ou étudiant et si on n'a pas le choix. Avec les ramen ou les Kraft dinner au macaroni rouge.

Menus cadeaux des envahisseurs. Principal employeur chez les fermiers et paysans, 90 % des habitants - on avait suggéré le blé mais le blé pousse mal dans le désert et les montagnes. Un autre penseur avait proposé le riz qui pousse remarquablement bien dans le désert comme on sait. Un français avait quant à lui parlé avec des yeux mouillés de la vigne qui est tout ce qui pousse quand rien ne pousse. Pourquoi pas des oliviers?

Donc pour éviter une révolte encore plus grande que celle à laquelle ils avaient à faire face, ils toléraient l'exportation de ces substances interdites. Faisant comme tout le monde semblant que rien de tout ceci ne se passait et les journalstes serviles comme toujours faisant semblant de n'être au courant de rien ce qui est une très bonne attitude quand on dit informer (désinformer) la population. Faisant sembant de ne rien voir des immenses champs de pavots bleus en fleurs lorsqu'ils parcouraient le pays en hélicoptère militaire.

L'$ du traffic servait aussi aux services secrets pour leur opérations noires et sabotages, assassinats divers, dans divers pays du monde.

On disait que l'hypocrisie est un hommage du vice à la vertu. Françis de La Rochefoucauld, Maximes et Réflexion moral, 218.

On ne le dit plus mais on pratique sans cesse cette sage maxime.

Il ne dédaignait pas non plus la marijuna artisanales de ses voisins. Consommé localement et écologiquement. Locavore. Quoique une cigarette des plans de tabac détaxé d'un autre fermier des environs était loin de lui déplaire. Belles feuilles odorantes séchées et hachées selon ses besoins. Et un peu du bon alcool artisanal et tout aussi illégal de l'alambic personnel du nouveau maire. La loi comme en toute chose est à consommer modérément.

Il s'était fait ainsi beaucoup d'amis parmi les écologistes du coin.

Et quelques amies appréciaient les petits gâteaux à la mari du Cercle des Fermières du village.

_ Bonjour Henry,
Elle avait l’air soucieux, ce qui ne lui ressemblait pas.
_ J’aimerais te poser une question
Comme il détestait ce genre de situation lorsque les femmes se mettent à interroger, à se remettre en question en commençant par leur entourage. Dont vous puisqu'il vous est impossible de fuir ce qui serait vu comme une impolitesse réclamant châtiement.

Les complications.
_ Vas-y
Il n’avait pas le choix
_ Est-ce que j’ai l’air d’une gouine?
Qu’est-ce qui lui était encore arrivé? Pour une remise en question c’en était toute une.
_ Non.
_ Sois plus explicite.
Ça promettait d’être compliqué!

_ Tu me poses une question et je donne une réponse. Je suis un homme de peu de mot. En général, c'est toi qui parle à ma place.

_ Est-ce que récemment j'ai eu un air différent. As-tu remarqueé quelque chose que je n'ai pas remarqué. On a beau s'observer, faire attention, on ne voit pas tout.
_ Veux-tu me dire que tu remets ta vie en question, que tu sors du garde-robe ?
_ Non.
_ Alors ma réponse courte est aussi bonne que ta réponse courte. Qui joue dans ton cerveau en ce moment? Pas ta mère, elle est morte.
_ Tu connais ma profession
_ Tu veux en changer? On t’a foutu à la porte? On te fait des pressions?
_ Je ne tiens pas à en changer. On semble satisfait de mes services et, comme toujours, on me prend pour un citron juteux.
_ Raconte
_ Je travaille encore à la Radio de Radio-Canada. FM. L’animateur vedette, celui qui nous engueulait nous les co-animatrices de service, entre 2 rèves de faire le tour du monde en voilier a eu une dépression et est parti quelques mois. Quant à moi, il peut rester dans son asile tant qu’il veut. Je reçois toutes sortes d’invités à interviewver. Certains gentils. D’autres muets. Quelques-uns cabochons. Et, de temps en temps, des français.
_ Voilà !
_ Et j’ai eu tout un cornichon
On les envoie en charter par Air France sur Airbus, comme si on voulait s’en débarrasser. Des chanteurs inspirés pas de voix en fin de carrière ou à leur début. Pour essayer de les relancer ici, après, il leur restera l’Afrique. Ou pour les tester. S’ils reçoivent un prix – les français aiment les prix et les trophées et les médailles, ce qui leur reste de leurs ancêtres militaires- on les remarquera peut-être. Comme les toutous médaillés ou les militaires.
_ Et il y a un trou de cul qui… ?
_ Je n’oserai pas utiliser ce mot
_ On n’est pas à la radio. On dit ce qu’on veut.
_ Il avait toute une réputation. En plus de celle d'avoir du talent mais des tas de gens en ont. Mais une réputation sulfureuse. L’artiste de la tristesse et de la déception et de la mélancolie. Désenchanté, nostalgique et blasé. Intègre et sincère. Souffrant et sincère. Les tripes sur la table directement dans ton assiette. Ses innombrables chagrins d’amour. Toutes ces femmes qui l’ont blessé, trahi. Il était en éternel chagrin d’amour victime d’une trahison perpétuelle. Un incompris chronique. Tout lui est insupportable, tout le fait souffrir. Il faisait la run de lait devant passer par tous les journaux, magazines, radios, TV qui voudraient de lui pour parler de son nouveau disque. Comme il est à la mode et qu’on est en période de sondage, on ne m’a pas laissé de choix. J’imagine que lui-aussi, on ne lui a pas laissé le choix. Surtout lorsqu’il est entré en studio et qu’il m’a vu. Moi aussi je l’ai vu. Il était vieux mais avait des yeux magnifiques, d’un bleu parfait. Mais l’admiration n’était pas mutuelle. Ça allait être une rencontre intense. Il était comme ça : à prendre ou à laisser. Il était célèbre et riche et pas moi.
_ Qu’est-ce qu’un homme normal dirait en  te voyant : Wow! Quelle belle femme!
_ Tu es gentil. Mais ça ne lui est pas venu à l’esprit. Il a grimacé.
_ Belle mise en ambiance.
_ Il n’a pas voulu me serrer la main. Il ne m’avait pas dit bonjour non plus. L'air de penser: Dieu qu'elle est moche! J’ai appris ensuite qu’il n’aimait pas être interviewvé par des femmes. Elles sont chiantes paraît-il. Mais comme j’étais seule avec les co-animateurs de la circulation et de l’actualité, que j’étais la seule à faire du culturel, il n’avait vraiment pas le choix. Il pouvait s’en aller et aller à la prochaine adresse sur sa liste. À la radio étudiante ou communautaire. Mais son agent et son spécialiste des médias étaient là avec lui et n’ont pas voulu le laisser sortir. Radio-Canada, ce n’est pas rien. Bien sûr, ce n'est pas la grosse TV ni la grosse radio mais la radio culturelle a un public limité mais il achète encore des disques au lieu de les copier ou de s’envoyer des fichiers. Ils ne sauraient probablement pas comment faire. Probable qu'ils copiaient des cassettes sur des radios à double piste.
_ Raconte
_ Je le présente. Tout va bien. Même si je j’en ai pas envie, je fais la bonne fille et je le comble d’éloge. Je sais comme les hommes sont imbus d'eux-mêmes et vaniteux. Un peu plus et je lui fais une fellation. C’est comme un jeu. Tu ne crois pas un mot de ce que tu racontes mais il faut que tu vantes ta marchandise. J’ai déjà été démonstratrice de petits gâteaux dans les supermarchés. Il fallait faire déguster des échantillons de bouffe industrielle. Attirer et retenir les passants qui avaient leur épicerie à faire .Leur donner un coupon rabais pour qu’ils achètent la boite entière. Très bon début de carrière pour une comédienne. C’est un rôle comme un autre. Le mentir vrai. Ou faux. Comme on veut. Ensuite, il te reste à vendre des assurances ou des actions de Nortel. Ou de Vincent Lacroix. Je l'encourage à parler. Et il finit par parler. À mon avis, il aurait mieux fait de se taire. Plus inculte que ça, tu animes la radio-poubelle. Il me dit qu’il n’aime pas la musique. Qu’il n’en écoute jamais. Il ne lit pas non plus. Que, pour lui, les artistes sont des agents de l’ordre établi. Des auxiliaires de la police. Je ne sais pas où il veut aller mais je le suis.
_ Tu le laisses se pendre à sa propre corde. Un musicien qui n’écoute pas de musique, un peintre qui ne va jamais voir d’expo, un écrivain qui ne lit pas : ce n’est pas sérieux. C’est tout à fait bouffon.
_ C’est un révolté. Tout l’agresse, y compris la révolte des autres qui est toujours récupérée. Réactionnaire. Pas sincère. Sauf la sienne. Qui est 100 % sincère. En ce moment, il est avec Brigitte Bardot pour sauver les marmottes Auvergnates et les protéger des touristes qui leur donnent des barres de chocolat parce qu’elles sont allergiques comme les chien. La marmotte auvergnate le fait souffrir. Après la marmotte et les phoques dont le massacre local fait honte à la planète même si elles bouffes ce qui reste de morue comme des truies. Il souffre pour les phoques. Ensuite pour les paysans. C'est fou ce qu'il peut souffrir. Il dit travailler comme les paysans dont il célèbre l'existence. Puis il se tait et devient songeur. Il souffre maintenant en silence. À la radio, il faut souffrir avec volubilité. À la TV, on peut filmer tes yeux pleins de larmes mais pas à la radio. Pour relancer la conversation, je lui dit que ses opinions tranchées ont dû lui faire quelques ennemis. Quelques est un euphémisme. Il dit qu'il lui plaît assez qu'on ne l'aime pas. Il méprise ceux qui le méprise. Il aime être mal interprété. Incompris. Il a dû renoncer au projet d'enregistrer un disque à Bombay, en Inde. Avec des mandiants qu'il aurait formé. Il voyait un choeur de centaines de mandiants qui l'auraient accompagné sa chanson. Mais les mandiants sont des matérialistes et veulent être payé. Les pauvres sont corrompus par l'$ comme tous les bourgeois. Il est un musicien intense, peu enclin au compromis. Il trouve le système dégoûtant. Les jolis cœurs qui font des concours de générosité. Pour lui, les artistes sont des monstres d'égoïsme. Sauf lui. Il dit avoir vu des artistes de gauche jouer au poker une petite orpheline en fugue, perdue. Le gagnant couchait avec elle. Je lui ai demandé des noms. Il n’a pas voulu. Je lui ai dit que si elle était mineure, c’était criminel, même en France. S'il l'avait vu c'est qu'il était là. Il pouvait être reconnu comme complice. Même s'il n'avait fait que regarder. Et ne pas dénoncer ces criminels est criminel aussi. Mais il s’est renfrogné comme s’il venait de comprendre qu’il était allé trop loin. À dénoncer ses ex-amis du milieu artistique ou à inventer ce mensonge qui s’il allait plus loin pourrait lui valoir un procès. Et lui coûter cher, lui qu’on dit près de ses sous. Je lui demande comment il trouve le Québec, ce qui permet à tous les touristes de se lancer dans une série d’éloge qui les fait bien voir de la nation d’accueil. Mais il ne mange pas de ce pain là. Il déteste l’hypocrisie. Et il trouve notre société fausse et hypocrite, à double face. Il ne sent pas à l’aise ici. Nous sommes des paysans sans culture enrichis. Je le laisse aller. Pour l'encourager, je le félicite encore. Mais j'ai dû lui faire mal en le suçant. Nous les filles, on a des dents et, parfois, l'envie de mordre.
Mais je vois qu’il grimace. Ce n’est probablement pas assez. Il est une grosse vedette en France. Ou il l'était. Quasiment inconnu, ici. Sauf par ses disques qui se vendent un peu et quelques chansons qui ont passé dans les émissions culturelles. Ou une émission publicitaire pour le lait.

Je trouvais qu’il était poétique. Avant de le connaître. Mais peut-être que je n’aurais pas aimé rencontrer Rimbaud, Verlaine, Baudelaire?
_ Et ton Céline?
_ Je l’oubliais celui-là! Il m’écoute, semble accablé, découragé. Je me demande quelle connerie j’ai pu dire. Tu sais comment je fouille mes dossiers. On a des recherchistes mais je lis tout et fait mes propres recherches. En bonne fille perfectionniste. Première de classe. Je pense que j’ai fait une bonne gaffe. Est-ce que mon anti-sudorifique m’a lâché. Ou que ma serviette sanitaire coule? Et ça se voit sur ma jupe? Pourtant je n’ai pas mentionné ses procès pour avoir battu ses copines. Je le regrette, j’aurais dû. Un mec capable de ça est capable de tout.
_ Il ne t’a pas battu. Pas devant témoin?
_ Pas physiquement. Mais mentalement. Intellectuellement. Après, j’avais besoin de prendre une douche ou d’aller vomir dans les toilettes.

Il commence à me dire qu’il ne m’aime pas. Il n’aime pas mon genre. Mais je suis quel genre? Qu’il n’aime pas ma voix. Que je ne devrais pas faire de la radio. Qui est supposé détendre les gens. Je les agresse. Qu’il ne pensait pas qu’on engageait des filles comme ça ici. Qu’on devait être rendu bien bas. Qu’est-ce qu’il voulait dire par «des filles comme ça!». Il pense que je suis une pute et que j’ai fais tout le personnel du studio pour avoir le job?
_ Intéressant!
_ En effet! Et ce n’est pas fini. Non seulement, il me dit qu’il n’aime pas ma voix. Et à la radio, on n’est que ça : une voix. Puisque personne ne nous voit. Qu’est-ce qui reste de nous, si on n’aime pas notre voix? Il me dit qu’il se sent menacé par ma voix. Qu’elle est trop forte, trop grave. Je parais trop sûre de moi. Ce qui est mauvais pour une femme. Mais il n’est pas sûr que je suis une.
_ Il a dit qu’il se sentait menacé par ta voix?
_ Disons que c’est un être extrêmement sensible.
_ J’aurais dit ça autrement.
_ Et qu’est-ce qu’elle a encore ta voix?
_ Ce n’est pas une voix de femme. Selon lui.
_ Et on revient à la question du début. Et si ta voix n’est pas… elle est quoi?
_ Une voix de lesbienne.
_ Et il est encore vivant?
_ Si j’avais encore 16 ans…
_ Et un si bon départ a mené à …?
_ Après m’avoir diagnostiqué, il veut m’améliorer. Pour lui, une voix de femme doit être petite, aigüe, feluette, comme celle d'une petite fille. Malade. Plus on est malade, mieux c’est.
_ As-tu pensé à la tuberculose ?

_ La Dame au Camélia?
_ Comme la plupart des chanteuses françaises.

_ Il m'a dit que c'était normal pour des bûcheronnes qui vivent encore dans des cabanes de rondins.

_ Il t’a recommandé de fausser?

_ De cesser de vivre, plutôt.

_ Je vois Charlotte Gainsbourg qui fausse génétiquement comme son père et sa mère avec le filet de voix de sa mère. J'ai comme une vision.

_ Calme tes visions.
_ Et ça s’est continué?
_ Il m’a parlé de mon look. On est à la radio, pas à la tv. On s’habille comme on veut. Mais je ne suis pas habillé comme la chienne à Jacques. Et je me maquille avant de sortir de chez-moi, sinon, le visage nu, j’ai l’impression d’être toute nue.
_ Tu es une femme, tu es compliquée. Ensuite.
_ Tu es un homme et tu es simplet.
_ C’est génétique. Ensuite?
_ Il m’a dit que j’étais moche. Oui. C’est pour ça qu’il se demandait comment j’avais pu arriver jusqu’ici. Pour lui, il est primordial qu’une femme soit jolie. Il se sent sale en présence d’une femme moche. Pour lui, la beauté est primordiale puisque c’est la raison de ses chansons. Et une femme laide lui coupe l’inspiration. Il en aurait des mois à se remettre de l'heure qu'on avait passé en studio. Un peu plus, il me faisait poursuivre par son assureur.

_ Tu n’étais pas son genre.

_ Les femmes qui sont son genre, sont jolies. Ça suffit. Être joli est bien assez pour une femme.  Je tremblais de rage. Mais je suis une professionnelle, je peux faire mon métier en pleurant, en tremblant de rage, en étant bouleversée, déstabilisée. Comme une équilibriste sur un fil qui manque à chaque instant de perdre pied mais ne le perd pas ni sa tête. Le vertige. L’envie de vomir. Encore. Mais impossible de partir. J’étais une pro. Et si je partais, si je l’engueulais, on aurait dit que j’étais instable, que j’avais mes règles, ce qui était le cas.
_ Et ça s’est terminé par?
_ Il en restait encore. Il n'avait pas fini de s'épancher, de s'extérioriser, de vantiler. Il me dit que je suis mal baisée. Frustrée. Probablement une lesbienne. Il déteste les brouteuses de base et la brouteuse le déteste. Il déclare la guerre aux brouteuses. Et est l'ennemi de la brouteuse. Il aime les phoques mais pas les lesbiennes. Il est contre le broutage qui devrait être interdit. Les nanas ont toujours des problèmes. Problème et nana vont ensemble. Il n’y a plus con que les problèmes des connes. Depuis qu’on a donné des droits aux femmes, tout va de travers. C’est la crise sur Terre. On nous bassine tellement avec l’idée de féminité. Les entrailles des femmes et les femmes qui ne cessent d’en parler me donnent envie de. Il dit tout ça.

_ Les cotes d'écoute vont défoncer le faux plafond.
 _ Il se lève. L’émission venait de se terminer. Il avait répondu puis avait cessé de le faire pour finir en étirant le temps et en maugréant, en tapant sur la table avec ses doigts ou avec sa grosse montre à 1000$. Mais, au moins, il avait répondu. On avait quelque chose à envoyer dans les airs.

Et quand c’est fini, que l'émission suivante va commencer dans l'autre studio, il se lève et dit qu’il a rien à foutre. Rien à voir avec nous. Qu’il nous emmerde. Nous dit qu'il ne nous dit pas au revoir et je me casse. Bande de lopettes.

_ Le Français chiant ou le Parisien puant dans toute sa splendeur.

_ Alors, je ne suis pas une lesbienne?

_ Non. C'est un manipulateur. Comme bien des politiciens, des prêtres et des gens du spectacle. Ils te font croire ce qu'ils veulent. Des sortes de magiciens qui peuvent te reprogrammer comme s'ils t'hypnotisaient. Peut-être qu'ils le font. Change toi les idées! Prend un bain.

_ J'en ai pris un.

_ Prens en un autre et va voir un film amusant. Il t'a pollué l'esprit, il faut t'aérer.

_ J'avais des disques de lui chez-moi et les ai cassé en les mettant dans le mélangeur. Ensuite, je les ai lancé par la fenètre. De la poussière de CD.

_ Très bien.

_ Qu'est-ce que tu fais en ce moment?

_ Je suis sur ma galerie avec mon chat et mon chien et je regarde la lune.

_ Tu ne t'ennuies pas?

_ Non.

_ À bientôt! Si je veux aller voir le film que je veux voir selon ta prescription médicale

_ Tu me raconteras.

_ By!

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17 août 2012. État 1