HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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8.8.12

215

Henry Dickson


Quelques temps après, elle se maria.
Son fiancé fut bien triste de la perte de sa jeune admiratrice, n'étant nullement habitué à être admiré. Cette jeune et jolie admiratrice, qui, au contraire de son admiratrice précédente ne lui donnait pas constamment des conseils. Comme s'il était un enfant. Comment s'asseoir, se lever, manger. Tous ces conseils qui n'en finissaient plus. Et, maintenant, il se résignait à une vie de conseils acharnés.
Son père était malgré tout content du dénouement. Le sort cruel, le sort est souvent cruel, avait mis un terme à la jeune vie de la nouvelle fiancée de son fils. Elle n'était pas encore fiancée, mais comme les choses étaient, ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne le consulte lui demandant d'aller pourparler avec le père de sa future. Et quand son fils avait une idée derrière la tête.
Il l'enviait un peu. Elle semblait avoir le sang chaud. Ce qui pouvait être inquiétant de la part d'une jeune fille et ne pouvait que la conduire à tous les déboires mais malgré ce qu'on en disait, il semble que le destin l'ait épargné. Bien sûr, on parlait. Mais les gens sans importance parlaient tandis que les gens importants ne disaient rien. La réputation d'une femme étant son bien le plus précieux. Avec son honneur. Et quoiqu'elle ait pu faire, elle avait conservé sa réputation. Bien sûr, il aurait dû en bon père s'inquiéter mais comme tous les hommes, il était subjugué par sa beauté. Même s'il n'aimait pas trop ce choix lorsqu'il calculait le pour et le contre. Il y aurait pu y avoir pire. Il y a toujours pire.
Et sa femme ne l'aimait pas. Mais toutes les femmes vieillissantes sont jalouses des jeunes femmes y compris de leurs filles. Qui représentent ce qu'elles ont peut-être été et qu'elles ne seront certainement plus.
Son notaire lui-aussi était ému par sa beauté. Et par les possibilités financières qu'elle apporterait à son patrimoine. Et il lui avait appris que le père de la jeune fille avait des biens et pas de dette. De beaux biens. Le notaire était aussi du conseil d'administration de la Caisse Populaire. Une partie de ces biens lui reviendraient sûrement en dot. Et sa propriété s'arrondirait et s'agrandirait encore. Il aimait comme son père voir sa propriété s'arrondir comme une femme enceinte signe de fertilité et de virilité.
Le père de l'autre jeune fille était bien moins riche. Honnête. Mais ce n'était pas suffisant. Et il avait des dettes. Si ça avait été des dettes productives qui permettent d'acheter avant terme ce qu'on aurait fait inévitablement en économisant. Des outils. Des objets ou des machines ou des bêtes permettant de créer de l'$. De rembourser cette même dette avec les nouveaux revenus. Mais c'étaient des dettes improductives. Pour soigner sa femme  malade. Quelle idée de choisir une fille à la santé fragile. Une femme peut ruiner un homme de bien des façons. En le conduisant au mal mais aussi plus honnêtement en l'accablant de demandes de charité et de soin. Bien sûr, il était inconvenant de mettre à la rue une femme imparfaite ce qui faisait qu'un homme ou un père devait y penser avant. Ne pas la laisser entrer chez lui. Il y aurait bien assez d'occasion d'accident, de drame ou d'infection. Même les communautés religieuses ne voulaient pas de filles malades à cause des dépenses que cela occasionnerait.
Il aimait cette jeunesse et cette beauté qui éclairait enfin sa maison car sa femme avait depuis longtemps perdu tous ses charmes. Comme bien d'autres avant elle, devenue acariâtre et médisante. C'était le lot à porter des époux. Supporter une femme vieillissante et l'endurer sans la tuer de façon à gagner son ciel. Car tout ceci avait été prévu depuis le commencement du monde dans le grand plan de Dieu.
Il avait calculé comme il le faisait toujours et c'était une bonne opération sociale et commerciale malgré qu'il connaissait et n'était malheureusement pas le seul, la réputation méritée ou non de la jeune femme. Certains disaient qu'elle sentant le souffre. Et l'ayant approché pour la bise du nouvel an, il pouvait affirmer qu'elle sentait autrement bon.
Si elle avait fait tout ce qu'on lui reprochait, il lui serait arrivé inévitablement un accident. Les accidents arrivent. Comme il lui arrivait d'en avoir. Dès qu'il approchait sa femme, ding dong, la voilà enceinte. Un homme a des besoins et pouvoir les assouvir une fois par années est insuffisant. Alors, il priait pour ne pas céder à la tentation pendant que sa femme vomissait.
À moins que la jeune femme connaisse les secrets des indiens. On la disait d'ailleurs d'un peu de sang Iroquois. Mais heureusement ceci ne se voyait pas mais malheureusement ceci se parlait. Il était extrêmement rare de voir des indiens ou des métis roux ce qui était aussi l'indication que bien des sangs s'étaient mélangés pour arriver à produire un jour cette charmante fiancée. Il était interdit d'empêcher les familles et les seuls qui le faisaient étaient les indiens. Bien obligé avec leurs filles sans morale. De là à conclure. Mais il fallait laisser les vieilles femmes médiser, le seul plaisir qui leur restait avant les joies célestes qui se rapprochaient d'elles. Les hommes sont plus raisonnables. Leur vaste cerveau étant moins sujet aux inflammations.
Enfin, elle était mariée.
Elle eut un premier enfant dès que son mari la toucha. Comme il se retenait depuis des années, il la toucha beaucoup.
Elle n'aimait pas trop, ne ressentait rien. Ne savait pas comment se comporter, personne ne l'ayant conseillé au sujet de ces usages secrets. Elle restait immobile et silencieuse attendant que le souffle de forge se fatigue. Se promettant de laver les draps le lendemain. Une autre épreuve que la nature a réservé à la femme. Quoique laver les draps ne soient pas désagréable. Et rien de mieux que l'odeur des draps flottant au vent et sur la corde à linge.
Il ne lui avait pas demandé si elle aimait cela. Ceci ne se faisant pas à ce moment. Et cet usage aurait du perdurer car de nos jours bien des femmes détestent ce genre de question se sentant jugés. Comme si l'homme voulait vérifier ses talents et qu'on devait le complimenter en le rendant encore plus orgueilleux qu'il n'était. Mais ce n'est qu'une autre preuve du manque de jugement des femmes qui confondent le fait que leur amant leur demande maladroitement s'il lui a fait mal, ce qui ne se dit pas, avec des délires féminins.
À ce moment, un homme faisait ce qu'il avait à faire s'étant inspiré des actes communs à la nature et aux animaux de la ferme. Et la femme restait silencieuse et attentive. En tout temps elle se devait de rester convenable. Même nue avec un homme juché au-dessus d'elle. Ce qui est toujours surprenant la première fois.
Heureusement ceci ne durait pas trop longtemps. Et ne se reproduisait pas trop souvent. La plupart du temps, son époux revenait de l'étable épuisé et ils n'avaient que le temps de dire leur chapelet qu'il s'endormait.
Elle aimait être une épouse.
Elle aimait porter le nom de son mari.
Elle aimait laver, nettoyer, épousseter.
Son petit royaume de bois, de verre et de pierre, elle en prenait soin.
Depuis 30 ans qu'elle attendait d'épousseter et elle époussetait enfin.
Elle était heureuse.
Elle aurait chanté si elle avait osé. Mais elle n'avait pas une jolie voix. Ou sa voix convenait à son visage qui, on l'a dit, n'était pas joli.
Mais l'avantage des fillettes et des jeunes femmes qui ne sont pas jolie - à moins d'être exagérément laide ce qu'elle n'était pas- est qu'elles ne rempireront pas en vieillissant. Ce qui est le triste lot des jolies fillettes, des magnifiques adolescentes, dont certains disent qu'elles ont la beauté du diable qui doit y être pour quelque chose. Ou des jeunes femmes. Qui, subitement, verront s'éteindre leur grâce et leur beauté. Rapidement ou graduellement, naissance après naissance. Ou d'un coup. Lors de la date fatidique. Tragique sort de la femme qui cesse d'être une femme. Ce qu'on appelle de nos jours, la ménopause. Elles doivent recourir encore plus abondamment à la prière. Défiler des chapelets, allumer des lampions. On s'habitue à elles. Comme à un vieux meuble. Un peu déglingué, d'un style affligeant, souvenir de famille dont on ne veut pas se séparer. On en a pitié. Et comme l'homme est un être d'habitude, il oublie vite de les regarder se fiant au son de leur voix. Ce qui fait que les couples durent inexplicablement.
Elle était heureuse.
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8 août 2012. État 2