HISTOIRES DE FANTÔMES

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HISTOIRES DE FANTÔMES.

Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.

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8.8.12

212. L'HYPOCRISIE DES FEMMES

Henry Dickson regarda une dernière fois les 2 photos de la femme et les mis sur la pile avec les autres et referma soigneusement le couvercle de la boite de carton comme pour s'assurer qu'elle n'en sortirait pas. Et rangea la boite sur l'étagère avec les autres. Il y en avait pour des années.

Il y avait quelque chose dans les yeux noirs de cette femme sur cette ancienne photo noir et blanc. Quelque chose. Dit simplement, on pouvait dire, oui, on pouvait le dire, qu'elle vous fixait. 2 yeux noirs. Mais de quelle couleur en réalité?

Quelles avaient été ses couleurs?

Simple points de la poussière d'argent sur une surface de papier ayant un jour, il y a des années, attirés et retenus la lumière. Et un peu de ce regard. Sur lequel les rayons du soleil s'étaient reflétés. Regard qui devait avoir un grand pouvoir lorsqu'il émanait de la personne alors vivante peut-être assez pour envoûter une autre personne vivante mais de moindre volonté. Et pour être capable après tout ce temps et par l'entremise d'une simple image à 2 dimensions sur du papier de produire encore un certain effet sur une personne vivante à l'autre bout du temps.

Apparence. Illusion. Éclairage soigné.

La femme n'était pas belle mais il y avait quelque chose. Parfois, les mots manquent ou sont insuffisants.

La lumière du soleil s'était déposée sur ce visage et des lentilles de verre et un prisme et un miroir l'avait vu, capturé, renversé afin d'éclairer en négatif , comme une apparition de fantôme, dans une boite noire où se trouvait une pellicule de plastique transparent, qui avait, à son tour, été traversé de lumière. Prisme, lentille, miroir. Afin que le fantôme se manifeste, se métamorphose, redéposant l'image sur une feuille de papier.

Et une autre lumière se déposait des décennies plus tard sur le même papier pour en révéler des secrets.

Visage. Papier. Visage. Et 100 après des yeux regardent d'autres yeux et sont regardés par eux.

Il est suprenant comment certains artistes ou photographes par leur art mystérieux ou leur technique tout aussi étrange réussisent à rendre vivante une image. On dirait qu'elle va parler, disent certains. C'est tout juste si elle ne parle pas. On dirait qu'elle vous regarde, comme à tavers une fenêtre, disent d'autres.

Transformer un corps en 3 dimensions, sans compter l'odeur, le goût, la texture et la souplesse de la peau, la chaleur, le mouvement.  Et la couleur. Et la voix. Et le battements d du coeur, le souffle particulier. Transformé en une surface plate au moyen de liquides, de métaux et de teinture diluée posée couches par couches. Peinture à l'huile à la technique oubliée. Ou des couches de produits chimiques invisible sur du film ou du papier. Et la transmutation s'effectue.

On recherchait et disait avoir trouvé le moyen de transformer le plomb en or mais on a aussi transformé la vie en papier.

Par le dessin ou la photo.

Dernier reflet de la personne représentée qui peut être disparue depuis longtemps. Comme s'ils rendaient efficace la crainte de certains primitifs ayant peur que l'appareil photo capture leur âme. Et qu'ils ne soient plus que de pauvres esclaves sans âme que l'on peut faire agir à sa volonté.

Beaucoup de peintres avaient pu le faire avant et la technique s'était perdue. Quelques photographes par la suite et, finalement, un certain nombre de caméramen par le mouvement qui ajoute à l'âme qui n'en peut plus d'être immobile.

Et les peintres découragés avaient tenté d'autres aventures mettant en jeu des formes et des couleurs en un certain ordre assemblé. Une expérience visuelle sur laquelle il n'y avait rien à dire. Comme la musique. Ils avaient délaissé vers 1900 la représentation à la photographie dont le but unique est de représenter.

Mais l'appareil comme le pinceau, le crayon, le burin ne peut rien sans les mains et l'oeil de celui qui a appris à voir et sait regarder.

Et certaines photos de visage de femme, monsieur Dickson pensait à une amie, sont les doubles, l'immatériel matérialisé, de l'être vivant. On a l'impression que si on touchait, on ressentirait la peau. On sait que si on touche, on ressentira le papier que l'on effleure aussi on ne le fait pas. Mais on sait aussi que c'est faux ou à peu près vrai. Éternellement jeune de cette heure et ce millième de seconde là.

Et l'image en mouvement a dépassé la photo pour certaines femmes. Leur mouvement naturel qui se perd dans un autre mouvement dans la vie de tous les jours peut être conservé, répété sans fin avec arrêt sur l'image. Regretté à jamais.

Et il y a le téléphone et la voix de certaines femmes.

Et la voix de quelques femmes près de soi.

Magie.

Maintenant, on en était au simulacre du 3D. Ou de la stéréoscopie. Qu'arriverait-on à faire?

Il y a les hologrammes. Où ira t-on?

La lumière

Toujours

L'âme

Toujours

La vie ou la mort ou autre chose entre les 2

L'immobilité

Le sommeil, le rêve, l'attente avant la naissance. L'attente après la mort.

Les esprits qui planent doucement et se posent sur le papier ou les miroirs.

La bonté infinie.

Et le malheur contagieux.

La forêt

Les sentiers de la forêt

La nuit, il y avait aussi la forêt invisible mais toujours là à attendre.

Et la lune sur la forêt

Et, parfois, la pleine lune au-dessus de la forêt

Et, peut-être quelque chose dans la forêt.

Mais personne n'en savait rien.
Il fallait que les filles évitent les sentiers de la forêt, car ces misérables s'y cachaient et attendaient les pauvres innocentes sans défense.

Il était arrivé que des fillettes disparaissent mais le plus grand danger était pour les femmes qui ne devaient jamais aller cueillir des plantes seules et toujours en plein jour.

La nuit, une honnête femme dort.

Et elle ne rêve pas car une femme qui rêve est insatisfaite. Bien sûr, elle a rêvé dans le passé. Une fillette ou une jeune fille peut rêver à sa vie future. Sa première communion ou son entrée au couvent ou son mariage. De chastes rêves de bonheur. Des draps à repasser. Mais une femme. Jamais. Les femmes poussées par leur rêve devenus hantise peuvent faire des choses qu'elles regretteront. Car une femme a peu de contrôle sur ses actes.

Lorsque le juge poussé par la rumeur populaire condamnait une femme pour des choses interdites aux humains. Et qu'on devait la pendre dans une cage de fer où son corps pourrirait et seraient mangés par les insectes, les rats et les oiseaux, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les os et les crochets, les chaînes et les bandes de métal de la cage, c'est par ce qu'elle avait un jour rêvé.

Ou à cause de la lune.

La nuit, il y avait parfois la lune. Quelque fois la pleine lune. Grand danger pour les femmes. La lune qui rendait folle les femmes. Qui faisait quelque chose à leur cerveau ou dans leur cerveau. Quelque chose d'inexplicable et qui pouvait les amener un jour dans une cage de fer, les poignets et les chevilles dans des bracelets de fers reliés par des chaînes.

Et sur le visage, le masque de fer de l'infamie. Enserrant la tête. Des fentes pour les yeux. Et pour la bouche. Et une languette de fer enfoncé dans la bouche reposant sur la langue et pressant sur elle pour lui éviter de parler.

Tout ceci à cause de la lune.

La lune provoque les marées. Soulève le sol et les mers et les océans sur les sols. Elle agit aussi sur le mélange de gelée et d'eau qui constitue le cerveau des femmes. Et leur sang trop clair. La lune les amène à faire des choses malgré elles.

La lune chuchote. Fait des rêves. Fait croire que l'illusion est devenu la réalité. Que la réalité peut changer si on le veut. Qu'il suffit de le désirer fortement.

Que l'univers peut se plier à nos prières.

Il aurait fallu mettre la lune dnas une cage de fer. Mais aucun forgeron n'était assez habile et ne disposait de suffisamment de fer.
La nuit, tout le monde savait qu'il se passait des choses dans cette forêt mais aucune personne sensée ne se serait risquée à y aller voir sous le prétexte absurde de savoir. Savoir était dangereux. On ne cessait de le dire à l'école. Et à la messe le dimanche. Il y a des livres conseillés, ceux de l'école et, dans l'école, des gens qui savaient assez ou suffisamment, vous disaient quoi y lire, quelle page, et quoi y comprendre. Et quand cesser. Mais tous les autres livres étaient des tentations du Démon. Écrits sous la dictées de Satan par des possédés. Horrible farce des Livres Saints écrits par les apôtres sous la dictée de Dieu. Car Satant est le grand imitatateur qui ne crée rien mais fait croire des choses. Ils éloignaient de la religion et portaient les hommes à faire de la politique et amenaitent les filles à avoir des idées.
Et il n'y a rien qui horripile plus un homme qu'une femme qui a des idées. Celles de son père et de son mari seront bien suffisantes pour une vie.
Car quelques idées simples suffisaient aux femmes.

Leur cerveau trop petit ne peut en contenir davantage. Il suffit de voir leur petit crâne si court, si étroit, bien fait pour pour porter cheveux, chevelure, peigne, rubans, voilette et chapeau. Il n'y manque que des plumes. Aussi elles s'en ajoutent. Mais des idées, des pensées.

Celles qui avaient essayé poussée par l'envie et la jalousie en regardant leur frère, leur père ou leur mari avaient eu mal à la tête.

On voit sans cesse des femmes avoir mal à la tête ou mal au ventre, ces 2 endroits pourtant si différents et tellement éloignés se confondant chez elle.

Cette femme a été tentée. Elle a essayé péniblement de penser. Et voyez quelle catastrophe en a résulté.

On aurait dû écrire ceci sur un panneau de bois accroché par de solides cordes aux cous des femmes pendues à la croisée des chemin. Lieu damnée, terre profanée mais qu'il a fallu reconsacrer par un calvaire ou une croix de chemin lorsque les fermiers se plaignirent que cet endroit faisait peur à leurs chevaux et qu'ils refusaient de passer.

Il est grand dommage qu'on ne brûle plus les femmes vivante comme on le faisait jadis. Ou qu'on ne leur coupe la langue comme on le faisait aux commères et blasphématrices. Ou qu'on ne leur estampe plus aux joues ou au front la marque au fer rouge. L'époque s'étant trop amollie. On se contentait de pendre des femmes. On avait même délaissé la cage de fer. On ne les torture plus que morte.

Les femmes compliquaient tout. Les hommes étaient des êtres simples et pensaient simplement.
Et si les hommes gardaient les idées simples la plupart du temps pour eux, ils en accordaient de temps en temps à leur femme si elle avait été sage. Elles se devaient d'être contentes.

Le curé les donnait aux pères et les pères ou les époux les donnaient ou les prêtaient aux femmes. Avec parcimonie. Comme on nourrit un poussin malade. De toute façon, l'esprit des femmes n'est pas fait pour penser. Et ne peut contenir et conserver grand chose. Ce qui explique leur talent de commère. Tout ce qui entre sort aussitôt. Mais déformé car le bon sens, le jugement et la prudence n'est pas leur fort. Elle caquette comme les poules du poulailler. À l'évidence, leur tête est trop petite comparée à celle d'un homme. Et le cerveau qu'elle contient minuscule, comparé, encore, à celui d'un homme. Mais suffisant pour épousseter.
Et Dieu l'a voulu.

Mais il arrivait que la lune lorsqu'elle était pleine amène des rêve dans l'esprit de certaines. L'attraction lunaire traversait les toits, les plafonds et les planchers et rejoignaient les femmes sans défense où qu'elles soient. Lorsqu'elles étaient les moins à même de se défendre, dans leur sommeil. Ou à certains moment du mois lorsqu'elles étaient les plus confuses.

Mais si elles se réveillaient subitement et découvraient ce rêve, cette insatisfaction, ce désir de changement, de bouleversement.

Il ne leur restait plus qu'à prier. À serrer leur chapelet de verre et le scapulaire contenant une relique ou un morceau de tissus béni ayant touché les os d'une sainte martyre qui avait vécu avant elles ces tourments.

Parfois, leur chasteté et leur innocence étaient en péril. Des émotions étranges leur venait. Des chaleurs. Des picetements. Des irritations cutanées. Des rougeurs. Il fallait allumer une chandelle bénite par le curé et prier. Rester éveillée et ne pas céder au sommeil. Car c'était alors un sommeil qui ne reposait pas.

Parfois, chez certaines femmes, le désir leur prenait d'aller dans le bois. Elles le faisaient quand personne ne le savait, ne pouvait les suivre. Quand tout le monde avait peur de sortir, gardait clos les volets et les rideaux, évitaient de bouger dans les maisons. On ne pouvait donc savoir qu'elles n'étaient pas dans leur chambre. Car, menteuses et dissimulatrices comme le sont toutes celles de leur espèce, elles avaient convaincus leur époux qu'elles devaient quitter la chambre conjugale pour se recueillir. Ou des besoins d'hygiène pressants les prenaient. Elles se tapissaient alors dans la petite chambre du fond et attendaient que tous fussent endormis pour sortir subrepticement.

Car les femmes sont dissimulatrices et hypocrites.

Fourbes et sournoises.

Dans le bois où il y avait des sentiers. On pouvait s'y perdre. Arriver sans le savoir en haut du pic et tomber tout en bas sur la roche. Ceci s'était vu. Dans le bois, il y avait la rivière qui avait rarement de forts courants mais à qui il lui arrivait d'en avoir et des gens qui la traversaient avaient glissés et avaient été pris dans un remous.

Et il y avait un marais

Un étang ou un marécage. Selon les gens qui l'avaient vu et en étaient revenus. De l'eau stagnante. Comme l'eau du cerveau d'une femme. Des plantes qui ne vivent que dans l'eau. De la boue. Du limon. De l'argile. Tout ce qui était gluant. Des choses aquatiques. Sinueuses. Rampantes. Aux mille reptations. Des plaintes, des lamentations, des pleurs de souffrance, des sons de grenouilles et de crapaux, de criquets et de grillons. Des lumières de mouche à feu. Des sauterelles comme dans la Bible.

Dans certains endroits on y avait pied et on pouvait encore changer d'avis et revenir sur ses pas ou il suffisait de s'éloigner et d'avancer un peu pour se perdre et alors perdre pieds et tomber dans une fosse où on ne remontait pas; où des algues et des racines comme des doigts et des mains, des doigts crochus ou des tentacules vous enserraient et vous retenaient jusqu'à ce que vous ne puissiez plus respirer puis vous relâchaient et vous remontiez doucement en flottant vers la surface. Ou ce qui restait de vous. Parfois, on vous reconnaissait.

On disait qu'un sentier dans la forêt menait au marais et que dans le marais il y avait un sentier qui le traversait jusqu'au centre. On pouvait marcher sûrement mais dévier de sa route était mortel.

Celles qui savaient car les hommes ignoraient tout ce ces choses, celles qui avaient reçu cette confidence d'une aînée disaient, non, elles ne disaient rien, c'était un secret. Les autres comme elles qui avaient également reçu le secret, savaient aussi.

Quelque part. Au bout du sentier. Il y avait une grande pierre plate. Comme une table. Un autel. Comme une énorme porte. Posée, tombée ou jetée à plat.

On y avait fait jadis des sacrifices. Des jeunes filles innocentes. Des bébés, filles et garçons.

Des femmes folles avaient invoqué Satan et comme toujours lorsqu'on l'invoque, contrairement à Dieu, il se manifeste. Elles s'étaient accouplées avec lui. En était résulté des jumelles, des filles folles et prétentieuses qui prétendaient savoir. Cherchaient à contredire. À nier. Sans cesse tentée de penser, de réfléchir, d'avoir des idées.

Et hors du marais où n'allaient que les femmes, l'eau attirant l'eau, car les femmes sont composée d'eau si sensible à la lune. Hors du marais, il y avait de grands arbres. Et une clairière entouré de grands arbres. Et le plus grand des arbres. Et il s'était passé des choses lorsque les hommes s'y rassemblaient.

Du moins, c'est ce qu'on disait. Ou, plutôt, ce que certaines personnes auraient pu dire si on leur avait posé des questions. Mais on ne devait pas poser ce genre de question.

Il était donc dangereux pour la femme de penser.

Tandis que les hommes qui ont trop d'idées ou des idées au-dessus de leur condition ou qui se mettent dans l'idée de faire de la politique, seront vite repérés par la police et finiront en prison.
Avoir des idées entraîne l'insatisfaction, porte à contredire, amène à vouloir changer les choses. Et tous ceux qui sont satisfaits des choses comme elles sont et voudraient bien que cet état de fait dure toujours et indéfiniment seront mécontents et le considéreront comme leur ennemi. Tant de jeunes hommes intelligents se sont perdus à vouloir améliorer les choses. Même les gens qu'ils voulaient défendre s'étaient ligués contre eux. Leur sort fut cruel mais ils l'avaient bien mérité. Le fermier apprend qu'on ne peut se battre contre le vent ou la pluie.
Comme toutes les fillettes dès qu'elles ont un début de pensée - pour la majorité des femmes cela ne va pas plus loin parce que c'est tout ce dont elles auront besoin dans la vie- elle pensait à se marier.
Jouait avec ses poupées ou ses chatons comme si c'étaient des enfants à éduquer. Les prévenant de ne pas trop réfléchir. Car qui sait ce qui peut arriver à une poupée, un caneton, un poussin ou un chaton qui pense?
Et au fur et à mesure qu'elles grandissent, ce désir de famille et d'éducation supplante tous les autres.
Et au lieu que ce désir soit vague, elle, contrairement à toutes les autres, savaient avec qui. Non qu'elle aimait ce qui. Mais elle savait ce qu'elle détestait. Être pauvre. Et peu d'homme pouvait délivrer une fillette de ce fléau.
Le curé avait beau dire qu'il fallait accepter son sort. Chacun avait le sien. Que tout ceci faisait parti du vaste plan de Dieu qui savait mieux que tout autre ce qui était bon pour tel ou tel. Et le but secret serait révélé lorsque la mort nous délivrera de la vie. En attendant, il fallait porter son fardeau.
Elle était d'accord avec tout ce que disait le curé, qu'est-ce qu'une fillette ou une femme connaissait aux choses de la religion? C'était une affaire d'hommes. Et l'affaire des femmes étaient de prier et non de comprendre. Leur cerveau insuffisant ne leur permettrait pas. Mais si tous les conseils du curé étaient bon, il n'y en avait qu'un qu'elle mettait en doute. Un conseil qu'elle n'avait aucune envie de suivre.
Au début, tout ceci était vague. Mais au premier saignement, ceci devint clair comme du sang rouge sur du coton blanc.
Son seul salut était un homme. Et elle savait de quel homme il s'agissait.
Comme elle le voyait tous les jours à l'école du rang, elle commença à lui faire des façons. Jamais au-delà de ce qui était permis aux filles sages. Bonjour. Bonsoir. Les classes étant mixtes, c'était facile de se dire bonjour et bonsoir quoique la plupart des enfants n'y pensent pas. Donc elle disait bonjour très souvent.
Les garçons jouaient entre eux. Et les filles aussi. Chacun son coin de cour de terre.
Et rien ne changeait à la brutalité des jeux garçons simples et à la complication des filles. De classes en classes, toujours dans la même salle. Devant le même poêle à bois. Le même bureau. Le même tableau. Rien ne changeait sauf les corps qui grandissaient. Jusqu'à ce que tout commence à changer. Chez les filles qui devenaient encore plus compliquées et irritables et les garçons. Qu'est-ce qui arrivait aux garçons dont certains avaient déjà la taille d'un homme?
Ce n'est qu'à un certain moment, qu'elle remarqua l'air douloureux et souffrant de certains garçons. Qui avaient soudainement changé. Elle ne savait comment. Peut-être subissaient-ils une épreuve du genre de celles qui affligeaient les filles. Mais elle n'en savait rien. On ne lui en disait rien. Et il était impossible de poser des questions à ce sujet. Sauf qu'elle voyait bien que les petits garçons un peu stupides et fous qui ne pensaient qu'à jouer devenaient du jour au lendemain des êtres étranges qui se mettaient à regarder les filles comme. Comme. Qui cessaient de les taquiner, de tirer leurs tresses, de les pousser, de les jeter à terre, ou de se moquer d'elles, de faire des chansons stupides pour bégayer. Rougir. Et se réfugier longuement pour réfléchir dans les toilettes.
Bonjour. Bonsoir.
Il commença à lui porter son sac d'école. Parce qu'elle était faible, elle était une fille. Parce qu'il était fort et presqu'un homme. Parce qu'il avait des gros bras et, elle, de petits bras bruns.
Le temps passa.
Le père du jeune homme qu'il était devenu compris bien qu'aucune fille ne s'intéresserait à son garçon, toutes le croyant stupide à cause de son bégaiement. Ou risquant de porter malheur à cause de cette infirmité proche de la malédiction. Déjà sans le savoir, elles pensaient à la sécurité de leurs futurs enfants. L'instinct immémorial des poules et des dindons.
Il n'y en avait qu'une, pas très jolie, mais vaillante. Il connaissait son père et avait pu la voir travailler aussi fort qu'un garçon dès son plus jeune âge. À ce moment, les filles sont aussi fortes que les garçons. Ceci cesse dès qu'ils grandissent davantage. La jeune femme demeurant éternellement faible mais au moins énergique et travaillante. Et le jeune homme aussi fort qu'un boeuf. Un boeuf fort mais seul.
Il comprit qu'une sorte d'affection liait ces 2 jeunes êtres et accepta leur fiançaille. Le curé étant venu le prévenir que ce genre de situation ne pouvait s'éterniser. Les femmes et les épouses venaient se plaindre dans son église, il n'avait pas le droit de révéler ce qui se disait dans le secret de la confession mais il ne s'agissait nullement de secret, on en parlait ouvertement. Dans son église, à l'arrière avant de s'asseoir. Entre les 2 portes sur le bord de l'escalier. Sur le perron. Il avait entendu malgré lui. Et on était venu lui rapporter des choses qu'il n'aurait pas voulu entendre.
On avait peur qu'il se passe quelque chose. Quelque chose était un terme vague, suffisamment imprécis mais assez éclairant pour que les adultes prennent des mesures. Ce quelque chose qui pouvait se passer et faisait peur à tout le monde devait cesser. Les jeunes hommes étant ce qu'ils sont.
Et tout dernièrement, pas une mais 2 jeunes filles durent partir pour la grande ville après que l'irréparable se soit produit. Il ne pouvait en dire plus mais savait qu'une follette avait succombée aux belles promesses de son soupirant qui ne cessait de soupirer et de la tenter depuis des mois. Des mots et des mots qui l'avaient rendue comme folle et incapable de se contenir et de rester dans ses jupons. Misérable est le sort des femmes qui ont des oreilles pour entendre. Pourquoi ne sont-elles nées sourdes comme les filles du rang de la Famine?
Et l'autre, cas plus tragique, avait été attaquée en allant seule au mépris de tous les conseils de prudence, dans le bois. C'est tout juste si elle s'en était sortie vivante. On le savait que ce bois portait malheur. Mais les femmes y allaient quand même. Parce que, disaient-elles, on y trouvait des herbes médicinales qu'on ne trouvaient nulle part ailleurs.

Il y avait bien l'apothicaire de la ville ou le chinois mais il était fourbe, sournois et dissimulateur comme le sont tous ceux de sa race. Et aller dans la ville exigeait la calèche jusqu'à la gare la plus proche. Et le train. Et le tramway en ville. Tout ceci coûtait si cher.

Et le médecin du village, ne comprenant que la science moderne ne savait rien de ces choses.

Les indiennes savaient mais on ne leur parlait pas. De peur que leurs yeux sombres n'attirent les maris sans défense.
Et juste avant, une fillette avait disparue. Tous les hommes avaient fouillé le bois et n'avaient rien trouvé. Et on avait fini par mettre le feu à la maison d'un homme du canton de la Misère qu'on soupçonnait depuis longtemps. Même si la fillette n'était pas là malgré les recherches. Si ce n'était pas lui qui l'avait fait, il aurait le faire. Les hommes du village aimaient les idées simples.
Et l'homme qui pleurait trop devant sa maison incendiée fut pendu pour lui apprendre à ne pas être pauvre. Le curé n'était pas là ce jour là pour empêcher de tel débordement populaire, profita du dimanche suivant pour parler gravement et en fortes paraboles des dangers de la colère, mauvais guide et mauvais juge.
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8. 11 août 2012. État 3