Henry Dickson
Volait dans les airs comme un oiseau.
Il y avait eu une explosion. Et les hommes à côté de lui avaient été déchiquetés. Ou avaient été éventrés. Les un peu plus légèrement éloigné du cercle avaient eu les jambes arrachés. Merveille de la technologie moderne.
Lui pendant son vol plané ou à l'atterrissage était tombé dans le comas. Et lorsque des mois plus tard, il en était sorti (juste au moment où on allait le débrancher pour respecter les restrictions budgétaires). À ce moment, il était paralysé. Et aveugle.
On le roulait donc à droite et à gauche pendant qu'il suivait des cours de paralysés et d'aveugles donnés par des spécialistes bien intentionnés qui n'étaient ni paralysés ni aveugles et ne l'avaient jamais été et n'avaient bien entendu aucune intention de l'être. D'ailleurs les cours que l'on donnait aux spécialistes des paralysés et aveugles exigeaient précisément qu'ils ne soient ni paralysés ni aveugles.
Ensuite, il devint moins paralysé. Pouvant rouler dans une chaise roulante électrique. Commande vocale. Puis il put se servir de ses mains (avec des gants de cuir) pour rouleur lui-même ses roues.
On était fasciné par ses progrès. Inhabituels compte tenu de sa situation. On parlait de résilience. Et de qualité des soins. On le citait en exemple de réussite. Et on l'avait pris plusieurs fois en photo devant l'immeuble ou dans un des immondes étages de l'immeuble pour en vanter les mérites. Il va de soi que personne de sensé n'avait envie de venir ici. Sauf les spécialistes qui étaient bien traités. Mieux que les malades, patients, bénéficiaires qui n'étaient pas mal traité mais seulement traité comme des malades à la charge de l'État et du personnel.
À une autre époque, on les aurait euthanasié.
Il avait entendu un comptable calculer ce que coûtait le simple fait de maintenir en vie tous ces légumes. Sans compter le prix de revient de ceux qui l'étaient moins et qu'il fallait rééduquer. Certains passeraient leur vie ici et on consacrerait à leur confort le salaire d'un haut fonctionnaire sans qu'eux-même voient vraiment la différence.
Pendant que l'on vantait sa capacité inouïe d'adaptation à son milieu, monsieur Dickson qui se déplaçait alors en chaise roulante et à qui personne ne faisait attention entre 2 séances de tortures (rééducation) se promenait ici et là et complétait sa collection.
Lui aussi calculait. Il était ici depuis 3 ans. Avait les jambes inactives du format de ses os (pas de muscle). Si tout se passait bien, il passerait sa vie ici. Ou dans un appartement supervisé. Un autre que lui y aurait été déjà mais il bénéficiait d'un traitement de faveur et d'une pension gouvernementale.
Il était devenu le spécialiste du suicide du département. Activité confidentille et anonyme. Confronté à cette nécessité, la plupart des gens se trouvent pris au dépouvu puisqu'ils n'y pensent jamais.
Quel est le meilleur remède? Ou le moyen technique le plus adéquat.
Quelqu'un de son étage avait pensé que c'était l'égorgement avec un scalpel. Si ceci peut être efficace lorsque vous le faite à votre prochain dans son dos, le faire soi-même change la perspective et l'angle d'attaque de la lame. Vous coupez. Mais pas assez. Pas assez loin. Ce que faisait remarquer un chirurgien ironisant près du lit du malade: Il faut être modeste, humble, mon ami. Pencher la tête comme lorqu'on prie.
Pensant avoir par ces sages paroles donné une raison de vivre à celui qui s'était seulement tranché les cordes vocales et portait un large pensement autour du cou pour soutenir sa tête parce que les muscles avaient été attaqués. Mais pas assez.
La fois suivante, le suicidaire fut humble, pencha la tête et le cou et se l'ouvrit d'une oreille à l'autre. Il y eu du sang jusqu'au plafond. Les 2 artères avaient été proprement ouvertes. Du beau travail.
Mais fallait-il finir ainsi?
Comme il n'existe aucun manuel (il en trava plus tard mais ils étaient inaccessibles dans la bibliothèque bien (très) sommaire réservé aux malades capables encore de lire ou de tenir un livre. Lieu tenu par des bénévoles, malades eux-aussi, essayant de s'occuper avant de dormir ou de mourir.) il fallait tout rédécouvrir soi-même. Et se créer sa propre science. Sans bénéficier des conseils avisés des spécialistes qui en savaient plus que la plupart sur le sujet. N'ayant évidamment pas étudié ce chapitre à l'université mais ayant accumulé suffisamment d'erreur pour comprendre ce qu'il ne fallait pas faire. Et, à l'opposé, c'est ce qu'il ne fallait surtout pas faire qui intéressait la secte des mourants anonymes.
Se pendre est bien. Certains l'ont fait. Mais au moment de l'agonie, les sphincters s'ouvrent. Et s'il est de tradition de dire que le pendu a une érection à ce moment, on oublie de dire qu'il chie aussi. Ce qui est salissant.
On pourrait dire qu'à ce moment, ce sujet ne le concerne plus et qu'il probablement d'autres sujets de préoccupations (comme le salut de son âme), il était d'avis, que les jolies infirmières avaient assez de boulot et lui avait suffisamment torché le cul lorsqu'il ne pouvait pas le faire lui-même sans leur donner un surplus de travail.
D'autant plus que des comme lui il en arrivait sans cesse.
Et pas aussi chanceux que lui. Ce qui était fatiguant, c'est qu'on ne cessait de rappeler et de lui faire se souvenir combien il était chanceux.
Exact! Très peu de gens passent du point A où il était à son arrivée ici au point C où il était. Mais c'était le point Z qui lui important. Retrouver sa forme d'avant. Sinon, aussi bien se débarrasser de sa vieille carcasse inutile et recommencer une vie nouvelle parmi les éons. Ou une nouvelle mort. Ou rien du tout.
Il y avait longtemps qu'il ne croyait plus en quoique ce soit et ce n'était pas son séjour ici et les opérations qu'il avait subi qui avaient amélioré la chose. En fait, il avait découvert de nouvelles étapes dans l'incroyance.
Par exemple, on raconte partout que la vie humaine est la valeur suprême. Pas celles des animaux que l'on bouffe. Mais la vie humaine, résumé par ces mots La Vie. Et il avait surpris bien des conversations où on évaluait statistiquement ou par journée la durée de vie possible ou probable d'un locataires. Puisque tous étaient là, dans ce motel, provisoirement. Ils sortiraient inévitablement un jour. Par la porte d'en avant ou d'en arrière. En fait, celle du sous-sol, où l'on descendait les cadavres (ceux des locataires des chambres arrivés au bout de leur terme hypothécaire et ceux qui avaient mal vécu ou pas du tout leur énième opération). Il y avait là, la morgue, qu'il avait visité avec un nouvel ami infirmier (tout à fait illégal et non conforme, mauvais pour le moral des locataires). Il avait vu les portes des frigon et les tiroirs. Se les était fait ouvrir. Il avait même demandé qu'on tire sur la civière d'acier inox vide. Il faisait particulièrement chaud ce jour-là. L'infirmier avait fait de même. L'avait soulevé (à l'époque, il pesait presque rien ayant fondu de 100 livres) et étendu dans son futur logis. Lui-même s'étendit sur le lit voisin. Dans le grand plateau, il se sentit bien et détendu. Vraiment bien.
Il avait pensé un moment à demander à son nouvel ami de prendre un des instruments tranchants, sciant ou contondant - il y avait même un monstrueuse paire de ciseaux à ressort pour couper le cou d'un patient d'un seul coup. Au cas où on aurait besoin d'une tête sans corps.
Après tout, on était dans la salle d'autopsie.
Étant donné son état physique, il aurait été si facile à l'autre de l'achever en un instant. Il n'aurait rien pu faire pour l'empêcher et n'avait aucune intention de se débattre. Mais il y a des choses que la politesse interdit de demander.
Ils restèrent donc un bon moment à bailler aux corneilles puis l'infirmier entendit sonner sa montre lui indiquant que son tour de garde commençait et que l'époque des loisirs se terminaient.
On referma soigneusement les portes brillantes et on ne revint plus. Aucun des deux n'en parla comme si c'était un épisode gênant de la vie des ados lorsque certains se saoulent comme des cochons pour se réveiller le lendemain couvert du vomi des voisins. Marcher pieds nus dans le vomi chaud, le sien ou celui d'un autre, est un expérience inoubliable mais que l'on tient à oublier.
À ce moment, il n'y avait pas Internet et toutes les informations très utiles qu'on peut y trouver. Ce que la plupart des anciens professionnels de l'info dénigrent parce qu'ils se sentent dépassé, mis à part, vieux jeu!
Et les clubs de sucide qui ont fait bien des progrès depuis l'époque du doctuer Kevorkian. On peut même s'abonner. Et on reçoit par la poste le petit kit de mécano chimique qui vous permettra de procéder au lieu et date de votre choix. On ne vous force pas. Vous êtes libre. Et un des dernières des liberté qui vous restent, c'est celle de décider de la date de votre mort. Puisque vous mourrez inévitablement. Et ce sera à la Nature et à la société de décider pour vous.
Il avait donc potassé les livres de médecine et de pharmacalogie disant quand on s'informait de sa soudaine soif de culture qu'il pensait, si jamais il s'en sortait, commencer un cours dans un de ces domaines. Il y aurait bien quelque chose pour les infirmes qui n'obligent pas à se lever, se déplacer trop vite ou à lever de lourdes charges.
Mieux informé, il avait appris quel médicament était nocif, lesquels pouvaient provoquer le plus d'effets secondaires (affreux) lorsqu'ingéré en concurrence. L'idée de ces compendiums étaient d'éviter les erreurs fatales. Son idée était de chercher et de trouver la meilleure erreur fatale.
Une fois indentifié le meilleur ou le pire des médicaments ou la meilleure ou la pire association de médicaments, il fallait se la procurer. Comme on les trouvait sous divers noms et apparences (il y avait des photos couleurs), il ne fallait pas se tromper.
Il était alors facile de faucher la pilule qu'il fallait. Les aide-infirmières qui distribuaient les médicaments avaient leur plateau à pilules et les noms de patients. Certains aussi comateux que lui à un certain moment mais ils étaient jusqu'à preuve du contraire considéré comme faisant encore parti du cercle des vivants et on leur allouait donc, fonctiannarisme bureaucratisme oblige, le ou les comprimés nécessaires à leur état. Comprimés qu'ils ne prenaient évidamment pas et qu'on lassait dans un petit gobelet de papier au chevet de leur lit. Et que l'on jetait plus tard par mesure d'hygiène. On n'allait pas les remettre en bouteille une fois que les mouches auraient chié dessus. Les horaires changeant sans cesse, l'établisseement roulant 24 sur 24, c'étaient les aides-infirmières ou préposées au bénéficiaire qui les jetaient. On ne comptabilisait pas les rejets. Seulement les sorties. Ce qui permettait de prendre son quota de pilules.
Ensuite, après avoir réuni son arsenal, le compteur se mettait à tourner. Chacune avait sa date de péremption, date où ses effets s'amenuisaient ou devenaient chaotiques.
Il fallait ensuite calculer les moments de congé, les grands congés légaux, religieux, patriotiques, officiels quand il n'y a que du personnel en formation ou des temps partiels, tous les autres pouvant bénéficier de ce congé payé. La nuit, là où il n'y a que les même en moins grand nombre. Ou des surnuméraires des agences.
Au pire, il resterait à faire comme monsieur Primo Levi et se jeter en chaise roulante dans l'escalier mais il avait 70 ans. Et on ne sait combien de marches il y avait. Lui était plus jeune. Il pouvait se casser tous les os, il y avait assez de spécialistes ici pour le réparer presque indéfiniment quitte à souder ses os et ses vertèbres et le confiner à son lit jusqu'à son décès. Risque à prendre en considération. On se sort des camps de la mort pour finir dans une chaise roulante. Il y a de quoi être déprimé. Et on lui reproche. L'accusant après son décès d'être en contradiction avec ses écrits. Comme s'il fallait une preuve de leur véracité. Celle-ci étant dans la vie et la mort noble et héroïque de l'auteur. Depuis longtemps, seuls les amateurs (ou les spécialistes des générations passées) font le rapport entre l'oeuvre et la vie. Pour un auteur, l'oeuvre est le meilleur de sa vie. Celle-ci n'étant que la pelure de banane nécessaire. On essayera une autre métaphore plus tard.
Il avait sa collection de pilules, renouvelées au besoin, ticket nécessaire pour le grand voyage touristique en Enfer.
C'est elle qui aperçut le manège. La seule. Elle avait probablement des sens de plus ou des dons extrasensoriels. Ou elle n'était qu'aveugle et avait dû développer certains dons plus que d'habitude.
Elle n'aimait pas quand il devenait distant.
Alors, il parlait moins et semblait calculer quelque chose. Compter. Mesurer.
Elle n'aimait pas quand il comptait ou mesurait.
Il l'avait connu quand il était aveugle. Elle était une aveugle professionnelle, une aveugle d'habitude puisqu'elle avait ce don ou cette infirmité depuis l'enfance. Lui, était un aveugle amateur. Amateur peu doué. Et il détestait ça.
Un peu comme lorsque dans un voyage organsé tout inclus vous vous retrouvez à des milles de la plage dans le taudis avec vue sur la playa.
Dans son cas, on pouvait parler de don. Puisque le fait de ne pas voir ce que tout le monde trouvait normal l'avait forcé à voir autrement et autre chose. Elle voyait donc ou percevait plus, mieux, autrement que tous.
Personne ne faisait attention à elle puisqu'elle était aveugle depuis si longtempse et qu'il n'y avait rien à faire pour les cas dans son genre.
Lui était comme ces grosses mouches qui se cognent sur les ampoules électrique et se cognent et se cognent sans jamais apprender quoi que ce soit.
Ils n'auraient jamais dû se rencontrer.
Il était là à compter les jours qui lui restaient comme un prisonnier calcule et soustrait les jours de sa libération de cellule. Elle était ailleurs, dans son petit appartement dont elle connaissait tous les recoins, très contente de son sort. Disant sans cesse qu'il aurait pu lui arriver bien pire. Le genre de personne qui se contente de peu et à qui la vie offre peu et dont personne ne fait attention.
Elle s'était retrouvé là parce que son spécialiste y avait été nommé. Et que la science du moment avait fait des progrès dont elle allait bénéficier.
Les sourds avaient eu les implants cochléaires qui leur permettait enfin d'entendre. Pas tous mais beaucoup. En fait, quelques-uns parce que ce n'est pas donné. Ils avaient pu délaisser le langage des signes qui leur avait été si utile.
Depuis longtemps, on prévoyait qu'un jour, on pourrait enfin remplacer les globes oculaires par des caméras. Celles-ci se miniaturisant sans cesse et au contraire de la logique de notre échelle humaine, ce faisant acquérait de plus en plus de précision.
Après tout, les yeux ne sont que des globes plein d'eau munis de lentilles qui reflètent la lumière à l'envers vers le nerf optique qui est une partie du cerveau sorti de sa boite crânienne protectrice dans laquelle il flotte protégé par du liquide qui l'empêche de se cogner aux os de son aquariium qui l'entourent pour aller prudamment inspecter l'univers extérieur.
La théorie étant au point, ce n'est que la pratique qui manquait ou traînait de la patte. Il y avait quelque chose que l'on ne comprenait pas. Au lieu de se dire que l'on va étudier studieusement davantage et laisser à une génération future de savants qui auront étudier plus à cause de nos efforts la gloire de parvenir enfin à faire voir ou redonner la vue à un aveugle. On voulait la gloire et les bourses d'étude tout de suite. Même le Prix Nobel de médecine.
Il y avait une caméra. Un peu grosse. Trop grosse. L'opération en théorie était simple, il suffisait de connecter le nerf optique à la caméra comme on connecte ce genre d'appareil tous les jours dans les studios de tv. Au lieu des fils électriques, des fibres nerveuses. Même chose mais matériel plus sophistiqué.
On allait prélever son oeil. On commencerait pas un oeil. Comme la caméra était lourde et encombrante, on ne pourrait pas la faire pénétrer dans l'ouverture du crâne prévue à cet effet. Et il n'était pas question de l'agrandir. On proposa de faire une sorte de jonction. Comme une prise de courant. Un fil, plutôt des fils, en fait un tas de fil serait connecté à chaque nerfs du nerf optique. Fils réunis en un seul que l'on connecterait à la caméra. Qu'elle pourrait tenir à la main comme on tient un appareil photo. Pas un Minox ou un téléphone portable. Un Nikon pro. Ou un Hasselblad.
Plus les test se poursuivaient avant la grande opération, plus on découvrait que l'appareil photo ou la caméra qui serait nécessaire était lourde et encombrante. La dernière version était si lourde qu'elle obligerait l'usage d'une chaise roulante motorisée.
L'aveugle qui s'était déplacé jusqu'à présent tant qu'elle voulait (tout simplement, elle ne voulait plus aller dans les endroits inhospitaliers pour les aveugles en bonne santé) serait dorénavant confiné à ce fauteuil. Pour le reste de ses jours. Parce que l'équipe poursuivant ses recherches sur le fil indispensable (il y avait différents labo se concurrençant dans la fabrication des divers composites nécessaire au lancement de la fusées sur la Lune. Pour cet hôpital, il s'agissait de ça. Gloire, fortune, subvention, marchandisation de l'invention. ) n'arrivait pas à trouver la connection idéale. Malgré le nombre de rats ou de lapins de labo sacrifiés à cet usage. Si on y arrivait pour la prise. Le problème, c'est qu'on ne pouvait pas déprendre, déconnecté ou recommencer. Il y avait une détérioration à chaque fois. On ne pouvait certes recommencer indéfiniment l'opération. Les coûts pharaoniques. Et le confort de la bénéficiaire.
On arriva donc à la conclusion que si opération il y avait, elle se devrait d'être définitivement. La patiente ferait donc parti de la chaise motorisée indispensable pour le transport de la caméra, de son ordinateur et de sa batterie. Le tout pesant, patiente de 110 livres comprises, près d'une tonne.
Comme elle pourrait être réticente à abandonner son petit chez-soi douillet pour finir ses jours dans un hôpital universitaire - l'invention était au point mais les connections bio/cerveau/mécanique/optique étant encore dans les limbes de la science, une équipe de spécialistes devraient se relayer pour une observation constante. Il y avait les risques de rejets toujours possible. Les risques de rejet et de non acceptation psychologique nécessitant un groupe de psychiâtre. Qu'est-ce que ce serait lorsque comme le premier coeur artificiel (des tas de patients dont cette invention avait pu sauver la vie moururent simplement parce qu'ils n'acceptaient pas de survivre grâce à une machine) on serait rendu à l'étape du premier cerveau entièrement mécanique. Pouvant enfin rejeter ce tas de viande désormais inutile. Vestige d'un stade primitif où l'évolution se déroulaient infinimiment lentement au cours des millénaires. Alors que l'Évolution de l'Homme serait désormais humaine, fruit des laboratoires de génétique, chimie, mécanique.
Sur place, on pourrait faire face à toutes les surprises. Et les recherches se poursuivant sans cesse, grâce entre autres aux études qu'on faisait sur son cas, on pourrait comme pour le coeur mécanique, l'améliorer sans cesse, le faire de plus en plus petit et durable. Il y aurait d'autres générations d'yeux. Au début, il n'y en aurait qu'un seul. Mais le suivant, disponible l'année prochaine était déjà au stade d'étude.
Comme elle ne savait à qui parler, ayant rompu depuis toujours avec sa famille qui la considérait comme un déchet indigne de vivre, un poids pour la société et un parasite vivant à leur crochet, elle se confia terrorisé des bribes de secrets qu'elle apprenait et devinait au seul aveugle disponible dans les environs. Lui, qui n'était pas aveugle depuis un moment et n'avait aucune envie de se rappeler de cette pénible période.
À son grand dam, il devait surseoir à ses projets d'exécution personnelle - la date idéale arrivait sur le calendrier lunaire- pour écouter ses pleurs. Et il est vrai qu'elle était sacrément jolie quand elle pleurait.
Non seulement pour une aveugle. On a toujours l'impression qu'ils sont moches. Que le fait de faire pitié les ratatine.
Les revues de gonzesses se demandent tout le temps si l'amitié entre un homme et une femme est possible. Sous-texte bien compris par le lectorat féminin mais jamais expliqué clairement: entre une femme jeune ou jolie et baisable et un homme ni infirmie ni vieux ni malade. Ni pédé.
Il va de soi qu'un ado normal a envie de baiser tout ce qu'il voit, dès qu'il est capable de faire une telle chose. Et l'envie lui cessera dès qu'il ne pourra plus. Il pourra alors penser à la littérature grecque. Anciennement, parvenu à ce stage, la Nature l'abattait comme un chien. Ou le laissait bouffer par un prédateur griffus à grandes dents qui lui brisait le cou et la colonne vertébrale. Puisqu'il était désormais inutile. Et que d'autres mâles jeunes le remplaçait avantageusement. Comme son petit neveu qui venait de lui plonger son épée dans le ventre.
La nature l'ayant conçu ainsi. 150 millions. Un seul homme en supposant qu'il en reste un seul de son espèce pourrait recopier l'humanité à lui tout seul. À supposer qu'il reste une seule femme ou 150 millions. Une espèce d'oiseau ou les poissons en produisent 10 milliard d'un coup.
Généralement ce que fait, dit, pense, ressent un femme indifférère profondément et totalement un homme. Il s'en fout.
Mais si elle est jolie.
Et dans le jeu de la vie, il ne faut surtout pas surévaluer l'importance des pensées des uns ou des autres qui ne sont que des ustensiles utilisés par les chromozomes pour durer.
Le hasard fait et défait les choses. Parce qu'on n'a rien à faire et qu'on s'en fout, on traine votre chaise ici et là. Et vous rencontrer quelqu'un que vous n'avez jamais rencontré. Une aveugle à la jolie voix. Vous êtes aveugle à ce moment. Elle aussi. Et elle se remet d'un séjour en chirurgie où on a encore essayé de lui faire passer ce défaut.
Comme il avait toujours été sensible à la voix des femmes. Si elle était... musicale. Difficile à dire. C'est comme expliquer le vin a quelqu'un qui boit de l'eau. Il aima cette voix. Mais ne s'intéressait pas aux femmes à ce moment et ne croyait jamais s'y intéresser un jour. Quant à l'amitié entre homme et femme, possible ou non, il pensait plutôt à Caligula qui dit un jour que s'il pouvait réunir tout le peuple de Rome en un seul cou, il le lui trancherait.
On dit que les gros sont joviaux, les vieillards sages, les femmes aimantes et maternelles, les mères maternelles itou. Les infirmes sont chanceux car comme les vieux ils auront la chance de devenir sage mais plus vite.
S'il avait pu crever de rage, il l'aurait fait. La seule chose de son corps qui fonctionnait était son cerveau. ET il était écoeuré de ce qu'il voyait et prévoyait. Il ne voyait rien - physiquement- mais il voyait clairement comme un grand films 3 D ou cinémascope (le 3D n'étant pas encore commun à l'époque sauf avec des lunettes de carton avec des vitres de plastique verts et rouge.
Le prête, on présumait qu'il était catholique même s'il refusait de parler- l'encourageait à servir d'exemple à l'humanité souffrante. Bonne chose, il aurait tout le temps de pratiquer.
S'il aurait pu, il se serait jeté du toit ou à travers de la fenêtre. Mais il ne pouvait même pas pisser tout seul.
Comme il avait tout son temps pour penser, il commença à envier monsieur Hitler qui eut tout un empire pour se défouler.
Héros de guerre, handicapé suite aux gaz de combat - belle saloperie- il devint aveugle. C'est ensuite que les historiens diffèrent. Partant de l'idée qu'il était un minable et un raté, il ne pouvait pas vraiment être atteint parce que si ça avait vraiment été les gaz, il aurait eu les poumons brûlés et on n'aurait jamais entendu parler de lui. S'il avait survécu, il aurait craché ses poumons pendants les mois et les quelques années qui lui seraient resté. Et il aurait été aveugles s'il avait eu les yeux vraiment brûlé. Signe qu'on lui en voulait vraiment. À l'époque, les maladies psychosomatiques et les chocs post-traumatiques étaient considérés par tous les médecins d'armée et, évidamment, par les États-Majors comme une une techniques de lâches et de tire-au-flanc. Du genre de ceux qui se tirent une balle de carabine dans le pieds et la main gauche. Si on ne les fusille pas pour l'exemple, on les envoie boiter en première ligne. Ou on les fouette sur une roue de char. La chair à canon doit savoir ce qu'on attend d'elle. Aujourd'hui, qu'on se permet des guéguerres d'opérette (no.1 = 20 millons de morts. no. 2 = 80 millions) on se penche sur la détresse des soldats.
Ben, monsieur Hitler était en compote nerveuse. Il mit 1 an à en revenir et un médecin le guérit de son aveuglement en lui disant qu'il ne pouvait pas et ne devait pas se laisser aller, sa vie n'était pas inutile ou foutue, car l'Allemagne avait besoin de lui. Dans l'état où elle était, il ne pouvait la laisser seule. Et il faut guéri.
Se découvrit peu à peu des tons d'orateurs, de meneurs, de politicien, d'homme d'État, de grands sorciers, de conquérants qui lui ont permis de changer la face du monde. Comme d'autres petits copains avant lui.
Il abandonna sa carrière de peintre et d'architecte ce que certains lui reproche encore. Tout en continuant à le traiter d'artiste raté. Comme si un tel homme capable de faire de si grandes et terribles choses n'auraient pas pu canaliser cette puissance dans son art. Faut décider ce qu'on veut.
Et si nos crétins d'Ottawa disent que la première guerre mondiale a permis au Canada de s'émanciper en tant que nation de la tutelle Britannique dont il était une colonie (au moyens de 200 000 morts et blessés pour 7 millions d'habitants!), la principale réalistion de la guerre mondiale 1 fut la fin de l'empire Russe et son remplacement par l'empire communiste, la fin de l'empire Ottoman et le pillage de ces régions par les vainqueurs de la guerre. Et l'invention de monsieur Hitler dans une nouvelle vie de caméléon.
Comme il était aveugle, il se faisait lire la vie d'Hitler et rêvait de carnage. Il commencerait par les banquiers qu'il pendrait par des fils à piano (ou à guitare) à des crochets de boucher. Pour des raisons poétiques.
La femme aveugle que révoltait ce genre de lecture insistait pour qu'on lise quelque chose de léger. Genre littérature féminine de bon goût. Lui, ricanait. Le bénévole qui faisait la lecture leur dit de s'entendre sinon il allait devoir se mettre au braille (qu'elle connaissait- c'est elle qui ricanait alors - les aveugles sont cruels).
Puisqu'on devait partager la salle des visiteurs et les temps de lectures à un moyen terme: Suétone et Balzac. Il aurait préféré qu'elle préfère Alexandre Dumas.
Il devint moins acrimonieux - la présence féminine provoque parfois ce genre de phénomène- et accepta d'aller jusqu'à Lovecraft.
Il oublia Hitler et l'idée de ravager le monde pour s'intéresser à elle. Elle avait une jolie voix. Et, même malade, sentait bon.
Comme les gens qui vont mourir - il avait remarqué que les gens qui vont mourir et le savent ou le sentent sans le savoir encore- ne sont pas discret et se racontent facilement comme si tout ceci était loin derrière eux, qu'ils s'en allaient ailleurs ce qui était exact. Rien de trop intime ne les gêne. Et il avait remarqué aussi que même en ne sachant pas le sort de la personne à ce moment, une fois que l'inévitable (inconnu à ce moment) est arrivé, tout ceci devient évident. Les confidences. Le naturel. Celui qui n'a plus rien à perdre laisse graduellement tout.
Comme les gens qui vont mourir, ils se racontèrent. Pas tout. Mais presque tout de ce qui les concernait. Tandis que ce qui pouvait nuire à d'autre était oublié. Personne ne posait de question.
Arriva un moment où ils s'ennuyèrent l'un de l'autre. Et se sentait mal seul tout seul. Ils cherchèrent alors à précipiter les moments de conversation ou à les faire durer.
Comme dans toute institution, le règlement et les horloges règlent les vies des gens retournés au stade de l'enfance quelque soit leur âge. Il fallait s'en aller chacun dans sa chambre.
Le temps passa. Pas sur elle qui resta toujours aveugle. Plus sur lui qui alla de mieux en mieux. Moins aveugle et plus du tout. Moins comateux et plus du tout, moins paralysé mais encore un peu.
Il cessa de penser à ravager le monde et à détruire l'humanité - il lui en resta bien quelques bribes de misanthropie- pour peut-être pas se réconcilier avec lui mais désirer simplement s'en aller doucement.
Ce qui n'était pas si simple comme on a dit.
Et lorsque les projets chirurgicaux réservées à sa nouvelle amie (les hommes et les femmes peuvent-ils être amis? Les âmes vivent en famille et, toutes perdues à la naissance, cherchent par la suite sans cesse à se retrouver) furent réglés dans l'agenda des équipes de chirurgiens et le budget de l'étage, il fut terrorisé.
Pas autant qu'elle. Elle avait beau refuser. Dire qu'elle bien comme ça. On ne le croyait pas.
Personne ne veut être bien aveugle.
Le dire c'est présenter des signes de confusions qui démontrent qu'on ne doit pas prendre en compte vos dires puisque vous ne savez plus ce que vous dites.
Et si une personne montrant des signes d'intelligence à la malchance d'être aveugle, frappée de cette calamité, tout ce qu'elle peut vouloir dans la vie, c'est de cesser de l'être.
On commençait à douter de sa raison. Et on se mit à lui parler lentement avec des mots simples détachés les uns des autres, en répétant.
Pourquoi refuser une telle opération puisque c'était pour faire avancer la science. Elle ne voulait pas que la science avance? N'était-elle pas égoïste?
Et c'était pour son bien.
Vilaine aveugle!
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29 avril 2012. État 1