Henry Dickson avait l'impression de se retrouver à Saïgon avec du vermicelle de riz plein la bouche ou était-ce dans une autre ville asiatique où le riz serait si fin que.
En fait, il en avait plein le visage.
Curieux.
Il ouvrit les yeux, se rendit compte qu'il avait dormi et n'était pas tout à fait réveillé et qu'il avait rêvé de ces sortes de rêves si réels que vous avez l'impression d'avoir vécu une autre vie parallèle, ailleurs.
Avez. Aviez.
Impression fugace.
Car au moment où vous viviez cette vie là, cette seconde (?) vie, vous ne saviez pas que vous rêviez. Ce n'est que le réveil brusque, l'interruption de ce rêve, hum!, mais était-ce un rève ? qui vous fait comprendre que. Que.
Vous passez à votre autre vie et gardez un bref moment un souvenir de l'autre, qui s'efface. Et n'existe plus. Et pendant cet espace de temps vous pouvez les comparer.
Et vous voilà dans la vraie, hum!, vie. La seule.
?
Et vous avez encore du vermicelle de riz dans la bouche, le visage, les yeux. Qui sent bon. Est si fin. Qui n'a pas la couleur qu'il devrait avoir.
Blanc.
Non.
Blond.
Monsieur Dickson écarte délicatement tout ce qui recouvre son visage et comprend. Il y avait ce poids. La petite blonde est aussi petite que légère mais elle n'est pas immatarielle ou pas tout le temps.
La tempête lui fait peur. Elle qui n'a peur de rien. Et elle n'aime pas le froid. Pourtant, elle est toujours chaude. Quelque chose dans son métabolisme ou son caractère. On pourrait l'accrocher au plafond et s'en faire une chaufferette.
Un ami médecin qui avait fait son internat dans l'étage des futures accouchées lui avait dit qu'il n'avait jamais eu aussi froid de sa vie, ce qui l'avait à jamais découragé de cette spécialité. Les grosses femmes pleines comme des oeufs, brûlantes, qui réclamaient qu'on ouvre les fenêtres de leur salle commune - à ce moment, dans cet hôpital, on avait décidé de regrouper les futures accouchées dans le même local pour ne pas dérégler à jamais le système de chauffage de l'établissement. Et, les fenêtres ouvertes, en plein hiver, elles transpiraient encore. Et le médecin qui se consacrait dorénavant aux pieds, plus tranquilles et moins exigeants, ne savaient pas si on procédait encore de cette façon et n'avait pas osé le demander tant cette période de sa vie l'avait traumatisée. Ces étranges animaux l'avaient convaincus de repenser ses préférences sexuelles.
La petite blonde n'aimait pas le froid. L'hiver.
On dit qu'il est impossible de se souvenir d'autre chose que son passé personnel. Que le passé des autres, fut-il celui de votre lignée, vous est inaccessible. Disparaissant avec son possesseur. Détruit avec la mémoire de son cerveau décomposé.
Comme s'il ne restait rien de tous ceux qui avaient vécu avant vous.
Comme si une telle chose était possible.
Mais elle parlait de cellules de pierre, de grottes profondes, de chaînes rivées aux parois. De gros bracelets de fer rudes qui entaillent la peau et cisaillent jusqu'aux os.
Et le froid qui entrait sous la peau, devenait liquide dans le sang, s'incrustait en vous, vous faisait frissonner indéfiniment. Mais même terrible, ce qui vous attendait lorsqu'on viendrait vous chercher serait pire.
Ou celle qui avait froid était nue, les pieds dans la neige, attachée à un poteau de bois dans un champ. Attendant. Attendant le pire.
Elle disait se souvenir de tout ceci.
Des lieux. La pierre. L'humidité. La terre. La paille, quand il y en avait, qui puait. Remplie de bestioles. Et les souris. Et les rats.
Elle compensait par sa propre chaleur tout de froid accumulé depuis des générations. Et même si les tuyaux de fer et de cuivre qui passait le long des murs pour rejoindre les gros calorifères de fonte sculptée en amenant l'eau chaude bienfaisante, ne suffisait pas.
Elle avait donc quitté la grande chambre où elle était seule. Cela ne lui faisait rien d'être seule - quoiqu'elle aimait bien la compagnie- mais les jours de grands froid et de tempête, lorsque le vent faisait vibrer la maison tout entière, lorsque le vent faisait chanter les murs, les planches et les clous, lorsqu'il faisait peur aux vivants et aux autres, tous ceux qui habitent la maison. Sauf monsieur Dickson qui aimait la pluie, l'orage, le vent, la tempête qui, disait-il, le faisait dormir comme une bûche.
Elle avait donc quitté la grande chambre et le grand lit, le champs de bataille où de grandes victoires se déroulèrent et d'aussi satisfaisantes défaites s'étaient passées. Pour descendre au salon. Où il y avait le grand foyer de pierre. Et toutes les bûches.
La chaleur des lourds calorifères à eau chaude irradiait mais la chaleur du feu de foyer se projetait comme d'une grande bouche. Il fallait se tenir devant l'âtre, à la limite où c'était trop chaud et où ça faisait mal. Et cette chaleur vous entrait dans la peau et dans cette chaleur elle se baignait.
Et elle avait découvert encore mieux.
Monsieur Dickson s'était réveillé quelques fois avec la sensation de lourdeur sur l'estomac. Se demandant s'il avait trop mangé. Ce qui était parfois le cas. Et il avait découvert le chat couché bien endormi sur son ventre. Le chat avait, lui, découvert qu'il aimait la chaleur de monsieur Dickson et le bruit de son coeur. Et qu'il pouvait dormir là sans qu'on lui fasse du mal. Une telle naïveté n'est ordinairement pas naturelle chez un chat. Mais c'était un chat bien particulier, l'esprit familier de la maison.
Monsieur Dickson regardait le chat enroulé sur lui-même couché sur sa poitrine, dormant et ronronnant et rêvant des rêves de lions et de chasse. Ce qui l'avait éveillé, lui. Il avait trouvé cette situation amusante, s'était demandé s'il allait renvoyer le chat et pensé que non. Et à son second réveil, le chat n'était plus là. Et, parfois, il revenait. Le chat était comme ça.
Et la petite blonde regarda le grand corps de monsieur Dickson les yeux pleins de convoitise. Et le grand feu aux multiples bûches, mélange de bûches d'érables et de bûches industrielles en poussière de bois qui feraient un feu qui durerait longtemps, bien après que les bûches de bois d'arbre soient devenues tisons. La plaque à feu en fonte épaisse qui prenait tout l'espace au fond du feu, contre la parois de pierre, se gorgeait de chaleur et de flamme et réverbérait la chaleur vers ceux qui se tenaient en admiration devant les motifs coulés dans le métal, chiffres, dessins d'animaux connus et disparus se mettaient à vibrer et danser. Les étincelles du feu prenaient des formes rapides que depuis des millénaires on essayait d'interpréter. Comme on le faisait pour les nuages, les mouvements de l'eau et les lignes des mains.
Et monsieur Dickson après avoir découvert le chat sur son ventre, avait découvert tous ces cheveux blonds sur son visage. Et la petite blonde au bout des cheveux, couchée sur lui. Aussi endormie que le chat. Paisible comme une fillette.
S'il n'avait pas osé interrompre le sommeil du chat, il fut encore plus délicat avec la petite blonde qui avait eu si froid. Et qui s'était souvenu de tant de froid. Là. En pyjama. Avec 2 robes de chambre enfilées sur elle. Et elle et monsieur Dickson enseveli sur une immense couvertuere en polar avec un motif de loup. Comme si elle avait monté sa tente sur lui.
Heureusement, le sofa Le Corbusier était assez grand et long. Quoique ce ne soit pas un véritable mais une adaptation locale. L'original étant trop petit. Le plombier du village avait soudé les tuyaux de cuivre réunis avec des attaches préusinées en angle droit ou T alors que le vrai était beaucoup plus raffinée. Ses soudures étaient aussi imperceptibles que sur un vélo de compétition. Mais il était trop petit. Et on avait ajouté d'autres coussins qu'on avait recouvert de tissus car le cuir était froid. Hors tout, un homme pouvait s'y coucher de tout son long et une épouse pouvait s'asseoir sur le coussin qui restait au bout. Et tout ceci pour une fraction du prix du meuble raffiné qui était, on l'a dit, plus beau mais un peu petit. Conçu pour un appartement de ville et non un grand salon. Et le tissus était rouge au lieu du cuir noir qui était collant l'été. Et la plate forme de métal qui soutenait tous ces tuyaux de cuivre qui tenaient tous ces coussins - le dossier simplifié au maximum- était comme sur le modèle original fait simplement de grands coussins carré alignés.
Et monsieur Dickson y dormait avec la petite blonde couchée sur son ventre. Elle-même couchée sur le ventre. Position déconseillée à toutes les jeunes filles par toutes les excellentes soeurs de toutes les congrégation. Ceci ne pouvant qu'éveiller leurs sens et les conduire à la damnation.
La petite blonde était-elle damnée et à quoi rêvait-elle en ce moment, car il sentait que ses seins collés à sa poitrine s'éveillaient, que leurs pointes durcissaient, s'allongeaient. Peut-être parce que lui-même commençait à avoir une érection et que cette information s'était transmise dans le monde imaginaire où était la petite blonde.
Comme il était trop tôt pour se lever et qu'il ne voulait pas réveiller la petite blonde étendue de tout son long sur lui, visage sur son cou, bouche qui bavait un peu, salive chaude, cheveux éparpillé sur son visage et l'oreiller, il s'amusa à penser et à se souvenir.
Il se souvint de la petite blonde, encore étendue sur lui, mais cette fois bien éveillée. Nue. Qui se reculait doucement pour s'empaler sur lui tout en le surveillant du regard. Et une fois le pénis bien planté en elle, elle s'allongeait encore, collait son menton sur ses bras croisés pour mieux observer les yeux de son amant. Qui ne perdait aucun des yeux charmant de sa douce passagère.
Puis elle semblait dormir. Mais ce n'était qu'une impression car elle se concentrait sur ses sensations. Ou rêvait. Contrôlant parfaitement les muscles de son vagin, elle pouvait presser, caresser, presque mordre ou étirer le pénis qui était en elle. Et l'éveiller dès qu'elle le sentait faiblir. Elle avait eu besoin d'être emplie de lui et s'était fatigué de sentir son vagin vide et inhabité. Il suffisait donc de l'accompagner là où elle allait, complice de son plaisir. Combien de temps se passait-il? Des heures peut-être. Et elle s'endormait. Et il s'endormait ainsi.
Ou elle était plus ardente et le réclamait. Elle était alors couchée sur le dos, tout en bas, aussi faible qu'on peut l'être, si vulnérable et innocente et, au dessus d'elle, la dominant, son amant prenait un air menaçant, comme s'il était une bête qui allait la saillir. Elle prenait alors une petite voix implorante. Rien de ce qui se passerait ne pourrait être empêchée. Elle était une victime soumise. Une proie vaincue. Sous la grande ombre et l'immense corps qui la surplombait. Parfois, elle avait aussi besoin d'être étouffée, écrasée sous le poid de son homme. Qu'il se jette sur elle. Au moment où il la pénétrait. Comme s'il la forçait. À d'autres moment, c'était toute douceur. Il y avait tant de choix.
Quelquefois, elle se mettait à 4 pattes comme les femelles de bien des espèces et attendait en soupirant. Elle soupirait si bien. Elle ouvrait les jambes pour bien faire voir les lèvres de son sexe. Et elle tenait de regarder au-dessus de son épaule pour voir ce qu'il allait se passer. Comme si elle n'était pas responsable, comme si c'était par hasard, un accident qui avait fait qu'elle s'était retrouvé toute nue dans cette position que l'on décrivait autrefois comme imprudente, compromettante. Qu'est-ce que son amant penserait de sa vulve, de ses lèvres, elle en avait toujours plusieurs, de son anus, de ses fesses, des 2 pointes de la fourche du diable au dessus de ses hanches, de ses hanches aussi, du long sillon suivant sa colonne vertébrable, de son cou, de ses petites vertèbres qu'il pouvait mordre et écraser? Qu'il mordait déjà. Pourrait-elle survivre? Quand enfin se déciderait-il? Elle n'en pouvait plus. Il fallait. Il fallait que quelque chose se passe.
Mais pour le tigre mâle, il fallait attendre pour la couvrir et la monter. Laisser l'orage s'étendre en elle. Que ses lèvres coulent. Changent. Se colorent encore.
Puis il la prendrait et s'accouplerait férocement. Ses dents claqueraient tant elle vibrerait. Elle pouvait alors serrer un oreiller entre ses bras et ses seins pour amoindrir les coups. Ou s'agripper à pleines mains aux barreaux de la tête du lit pour retenir son corps secoués comme un bateau fou dans l'océan. Elle pouvait garder le dos droit ou l'arrondir ou le courber avec tant de souplesse que toujours à genoux sur ses jambes, toujours son amant en elle, elle pouvait coucher sa tête au bout de son menton posé sur le plat de ses mains. On n'avait pas idée comment elle pouvait être souple.
Quelqu'un de puissant la possédait et s'était rendu maître d'elle. De grandes mains avait saisi ses hanches et les manoeuvraient. Une volonté plus grande que la sienne avait pris le contrôle et elle ne pouvait que se soumettre à l'inévitable. Et ceci durait. Et durerait.
Et puis ils s'endormaient. Aussi mouillé qu'on peut l'être. Puis prenaient une douche ensemble au réveil. Et se disait bonjour, comment vas-tu, je crois qu'il va faire beau.
Et une excellente journée commencerait.
Mais en ce moment, elle dormait et rêvait et parlait ou chuchotait. Puis silencieuse encore.
Toujours couchée sur lui.
Et il s'endormit de nouveau.
Et elle se réveilla un jour. Le regarda la regarder. Il lui dit: madame, vous avez de beaux yeux. Et, en effet, la dame avait de jolis yeux. Je le sais, monsieur, dit-elle. Mais j'aime qu'on me le dise.
Elle dit aussi:
_ J'ai faim.
Il dit aussi qu'il avait faim. Et elle lui répondit:
_ Nous avons de l'excellent pain de la boulangerie du village.
Il se passait bien des choses dans cette maison.
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28 décembre 2012. État 1
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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