Henry Dickson et la petite blonde sont assis dans le grand divan devant le foyer de pierre où brûle une série de buches soigneusement empilées. Dehors, une nouvelle tempête. Le vent est si fort qu'on l'entend gronder à travers les murs. Ou sur toit. Et la poudrerie grignote le verre des fenêtres. Parfois, comme de petits doigts secs.
Pas un temps à mettre un chien dehors. Ou un chat. Ou une épouse. Et, en effet, le chien est au pied de son maître. La femme à ses côtés. Qui tricote.
Le chat est passé pour voir si sa maîtresse et sa soeur était encore là. Rassuré de voir la petite blonde encore vivante, il était parti ou était disparu. On ne sait jamais avec les chats. Ou ce chat en particulier.
Mais il était revenu ce qui voulait dire que sa disparition n'était pas défintive. On ne sait jamais avec les chats.
Et il n'y avait plus tous ces gens qui envahissaient son territoire. Ce qu'on appelle chez les humains: invités. Et, chez les chats: étrangers. Ce qui avait entraîné chez lui la même réaction cutanée que chez monsieur Dickson disparaître. Mais l'un et l'autre était revenu.
Et les étrangers peuvent soudainement devenir dangereux. Mais les gens que l'on connaît peuvent aussi devenir dangereux. Sa mère ou sa grand mère, difficile à dire dans une vie de chat de 15 ans, ou son arrière grand mère lui avait parlé de cet homme qui avait tué sa femme à coups de hache. Là. Entre le foyer de pierre et le fauteuil. Le fauteuil n'était plus le même. Il y avait eu la tache de sang. Entre le fauteuil qui n'était pas le même et le foyer de pierre. La tache de sang, la flaque de sang ou la mare de sang coulée sur le bois et incrusté dans ses fibres. Combien de sang contient une femme?
Il y avait eu cet autre homme qui avait changé soudainement. Qui avait pris un fusil de chasse calibre .12 à 2 coups. Et qui avait tué sa femme et un de ses enfants. Le temps de recharger l'autre était disparu.
Puis l'homme avait réalisé ce qu'il avait fait.
Et avait ouvert son arme et inséré 2 autres cartouches de papier. À ce moment, le cylindre contenant les plombs était en carton. Aujourd'hui, le tube de plastique est devenu commun. Le fusil avait 2 gachettes. À peu de distance l'une de l'autre. Chacune actionnait le percuteur d'un des canons doubles. Il s'était assis sur une chaise de bois qui n'est plus là et avait enlevé un de ses souliers et un de ses bas. Avait inséré son gros orteil dans le pontet recouvrant les 2 détentes ou gachettes. Et avait pesé. Sa tête avait disparu et on en avait retrouvé des morceux un peu partout dans la pièce. Il arrive encore qu'on retrouve des petits plombs - les billes des cartouches étaient à ce moment en plomb mais comme les chasseurs aux canards en abusaient et que les billes retombaient dans les lacs et intoxiquaient les poissons, on utilise maintenant des métaux variés qui n'empoisonnent plus l'eau des lacs mais peuvent adéquatement tuer les canards et les oies ou les épouses ou les enfants ou les tueurs d'épouse et d'enfant.
Ceci s'était passé il y a longtemps mais on ne sait si on peut dire que ceci s'était passé il y a très longtemps. C'est ce que lui avait raconté sa grand mère ou son arrière grand mère qui l'avait entendu de leur grand mère. Il est donc difficile d'arriver à une conclusion précise. Étant donné qu'une vie de chat dure 15 ans. Et que 15 ans c'est très vieux pour une chat. Et qu'il arrive lorsqu'on est très vieille que l'on confonde les choses et les lieux et les époques. Tout ceci est bien compréhensible.
Par exemple, il y avait ce médecin qui avait son cabinet ici. C'était la faute de sa femme. C'est toujours la faute de la femme parce que c'est toujours la faute de la femme. Voilà. Il était devnu jaloux. C'était SA femme après tout. Elle s'était donnée à lui et elle lui appartenait dorénavant et il avait le droit d'en faire ce qu'il voulait. Mais elle s'était sauvée. Parce qu'elle était folle. Et si folle qu'elle avait oublié ses 2 enfants. De 3 et 4 ans. Et il faut qu'une femme soit bien folle pour ainsi oublier ses 2 enfants.
Le médecin devenu fou - à cause de sa femme- prit un couteau et commença à piquer ses enfants. L'un après l'autre. Pendant qu'il enfonçait son couteau dans un des enfants, il entendait dans l'autre chambre son autre enfant qui agonisait mouillé de tout son sang. Une respiration très forte.
46 coups de couteau.
Et il leur coupa la tête à chacun. Mais pas complètement car il est difficile de couper la tête d'un enfant ou d'une épouse avec un couteau, même un gros couteau.
Finalement, ses enfants cessèrent de respirer.
Il était alors couvert de sang.
Sa femme, son bien, était dehors, en train de hurler comme une louve blessé. Elle avait senti sans sa chair - il y a des femmes qui sont comme ça- chacun des coups de couteau.
Le médecin entendit ensuite que la police arrive. Il avait une bonne explication et se la répétait. Pour ce qui s'était passé. Il n'était plus lui-même. Et l'était maintenant. On comprendrait. Il fallait expliquer.
Il y avait aussi la femme qui avait étouffé ses enfants avec un oreiller. Un après l'autre. C'était une femme incomprise qui souffrait. Elle aussi, ensuite, avait attendu que la police arrive en pensant à ce qui était arrivé.
Ce genre de chose arrive.
Tant d'événement s'était passé ici. Car c'était une vieille maison. Et il n'y a aucune vieille demeure qui n'ait ses morts et ses mystères. Aucune.
Il y avait ausis le vieux mort dans la cheminée. Le vieux mort qui avait caché les armes et les explosifs dans la salle secrète du sous-sol. Parce qu'il était furieux. Lorsqu'il était vivant.
Tout ceci s'était passé depuis longtemps. Et il se passait moins de choses de nos jours.
Par exemple, hier et avant hier, la petite blonde avait reçu à la maison des amis et des parents. Des collègues étudiants et étudiantes de l'université. Quelques-uns avec qui elle avait été en prison lors des manifestations du carré rouge le printemps dernier.
Elle était de ces femmes qui provoquent le chaos et nuisent à l'économie comme avait dit le premier ministre d'alors et la ministre des Affaires Culturelles. Celle qui laissait démolir les vieilles églises, comme tous les ministres des Affaires Culturelles avant elle. C'était une sorte de tradition dans son ministère.
Car selon le premier ministre d'alors, la petite blonde et les gens comme elle, la rue ou le ruisseau comme il disait, provoquait la violence.
Mais la veille elle n'avait pas provoqué la violence ou le chaos mais avait plutôt distribué des cadeaux de Noël.
Monsieur Dickson n'était pas là car les humains l'énervait.
Mais les femmes sont des animaux communautaires et ne peuvent vivre qu'entourés. De parents, d'enfants, de plantes, d'animaux d'autres espèces.
Ou de chiffon, de fil, de balles de laine.
Ou de sucre, de cannelle, d'oeufs, de farine, de poudre à pâte, de chocolat et de lait.
Monsieur Dickson faisait parti de ces vieux mâles cardiaques vivant au fond d'un grotte avec un fusil. Quoiqu'il n'en soit pas arrivé à des symptômes aussi préoccupants.
Elle tricotait.
Lui lisait.
Elle tricotait un chandail.
Lui lisait quelques revues arrivées la veille lorsque la poste avait repris son service. Black Belt. Guns & Ammo. Soldier of fortune.
Il ajusta la lampe sur pied luxo MLC sur pieds à roulettes (5) ajustable à volonté qui se trouvait de son côté du fauteuil. Dans l'abat-jour, flurescent circulaire et au centre ampoule à incandescence 100 watts. Ce que lui avait conseillée son ami dessinatrice.
Elle préférait tricoter ou coudre ou broder dans le noir ou avec peu de lumière car elle voyait très bien dans le noir ou avec peu de lumière ou si peu. Comme les chats.
Le chenet contenant les bûches dans le foyer brillait.
Tout était bien et quoi demander de plus.
Dehors le froid et le vent poudrait.
Ceci cesserait lorsque la nature en aurait assez.
Monsieur Dickson regarda la petite blonde à l'autre bout du fauteuil/divan/canapé Le Corbusier, le feu la faisait luire tant la peau de son visage était lisse. Et il admira.
Il se trouva chanceux d'être là à ce moment, avec elle, le feu, la chaleur.
Et il s'endormit parce qu'il commençait à être vieux.
Il aurait pu mourir ce qui aurait été aussi bien.
*
27 décembre 2012. État 1
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
__________________________________________________________________________________________________
Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
___________________________________________________________________________________________________