Henry Dickson se réveilla avec une légère difficulté à respirer. Un début de grippe? Il avait rencontré beaucoup de grippeux cette semaine et n'avait aucune envie de se faire vacciner afin de participer et d'encourager la paranoïa générale et les comptables des usines pétrochimiques pharmaceutiques. Avait-il eut tort?
C'était encore la nuit et le salon n'était qu'éclairé que par la lune qui entrait par les grandes fenêtres et le feu du foyer.
Ses circuits se remettant en place dans son cerveau, il réalisa alors qu'il était couché sur le dos, que la petite blonde était couchée sur lui et que le chat de la maison était couchée sur le dos de la petite blonde, bien recroquevillé sur la couverture à la gigantesque tête de loup dans laquelle elle s'était emmitouflée.
Tout ceci expliquant probablement ses problèmes de respiration.
Elle disait ne pas aimer le froid. Interprétait la chose comme une forme de mémoire physique ancestrale infusée dans sa chair et ses os. Mémoire des prisons anciennes creusées dans le roc et des grosses chaînes rouillées et glacées rivées aux parois rocheuses et aux bracelets de fer des pieds, des mains et des cous. Qui vous glacent et vous coupent à travers les chairs jusqu'aux os.
Il n'y avait que les rats qui pouvait aller où ils voulaient dans ces enfer humide et glacés.
Et quand on sortait les pensionnaires c'était pour les soumettre à la question. La plus courante étant les brodequins, sorte d'étaux de bois dans lesquels on serrait les jambes avec des sangles de cuir.
Et le tout étant admirablement formalisé, on insérait un coin de bois entre les planches retenant les 2 jambes et on frappait à coups de masse de fer pour l'enfoncer.
C'était bruyant.
Autant à fois pour le bois et le fer frappé régulièrement que pour les hurlements de la pénitente aux chairs compressées. La peau n'y résistait pas longtemps. Ensuite, les muscles se tendaient. S'ouvraient. Les nerfs s'étiraient et transmettait l'influx informatif au cerveau. Qui retournaient l'information à la bouche, à la gorge, aux poumons, aux cordes vocales sous forme de hurlement.
Et, finalement, ce seront les os et les tendons.
Le craquement des os qui se fracturaient et se fendaient.
On pouvait faire durer indéfiniment.
Augmenter la pression graduellement.
Et insérer un autre coin de bois.
Même le format des coins triangulaires, le choix de l'essence de bois sec, et leur nombre était régulé soigneusement. Rien n'était laissé au hasard.
3 suffiraient.
Depuis des siècles, plus de mille an, qu'on utilisait ces méthodes. On était ainsi arrivé à une perfection presque absolue.
Le suspect avouait.
Que demander de plus?
Toutes les suspectes avouaient.
On n'a jamais demandé rien de plus.
En France, c'est lors de la Révolution de 1789 qu'on rendit illégale la torture. Mais pas les exécutions que l'on simplifia, ce qui désola le peuple. Une seule machine conçue par les meilleurs esprits devait dorénavant procéder les coupables, peu importe leurs crimes. Encore une fois, le peuple fut déçu et amer.
Au troisième, les jambes étaient brisées.
Mais on pouvait encore remuer les chairs sanglantes d'où sortaient les os cassés et varier le mouvement des os entre eux. On pouvait ainsi taper sur chacun des 3 coins enfoncés comme sur les touches d'un instrument de musique.
Généralement, les suspectes avouaient.
Entre des pleurs, des lamentations, des cris.
On comprenait très bien leurs aveux.
Pour plus de sûreté, on les leur faisait répéter.
En fait, tous les suspectes avouaient tout le temps.
La Justice n'avait jamais été aussi parfaite.
Donc n'était condamnées que des coupables.
On ne se donnait pas tant de mal pour rien. Une fois l'aveu reçu et noté et archivé, il ne restait plus qu'à prononcer la sentence.
Comme à ce moment, la suspecte devenu coupable ne pouvait plus marcher, on la traînait et la promenait jusqu'à sa cellule le temps que les ouvriers installent les bois de la justice. Elle pouvait donc entendre toute la nuit les marteaux et les scies.
Le jour venu, on l'assoyait sur une chaise que 2 hommes portaient ou on l'attachait sur une échelle, encore portée par 2 hommes, comme une civière, et on allait jusqu'au bûcher.
On élevait l'échelle debout et la prisonnère condamnée attachées à l'échelle et on la présentait à la foule afin qu'elle voie bien et comprenne tout aussi bien ce qui allait se passer. Et selon qu'on veuille une mort rapide ou plus satisfaisante, on jetait ou laissait tomber l'échelle avec la prisonnière face contre le bûcher en flamme ou sur le dos.
Il était arrivé qu'on la fasse marcher à 4 pattes jusqu'au bûcher en flamme qu'elle devait escalader elle-même, entrant dans le feu.
À 4 pattes.
Parce qu'elle ne pouvait plus se tenir debout.
Parce qu'elle ne pouvait plus marcher.
Mais elle pouvait aussi remper.
Mais elle pouvait presque aussi bien avancer comme une chienne sur les mains et les genoux.
Comme un animal. Comme l'animal qu'elle était.
On l'aiguillonnait avec une tige pointue pour la diriger. Plus à droite, plus à gauche. Plus vite. Elle comprenait très bien où on voulait qu'elle aille. Les flammes chauffant déjà son visage, les étincelles brûlant ses yeux.
Ses cheveux brûlaient déjà.
La foule présente - il y avait toujours une foule - ressentait alors de vives émotions sprirituelles.
La scène était un théâtre vivant plein d'enseignement. Une école par l'image, le son, les odeurs. Tous les sens étaient conviés afin qu'on retienne à jamais cette démonstration.
On découvrait encore l'oeuvre de Satan et ses complices nombreux - surtout chez les femmes, toujours capables du pire - et l'Église manifestait de nouveau sa puissance.
Démontrant qu'elle protégeait le peuple, trouvait parmi lui les ennemis de la foi et les faisait admirablement se repentir. Elle les cherchait et les chassait sans cesse, sans répit, sans repos et en trouvait continuellement. Où qu'ils se cachent ou se terrent, on les débusquaient.
On aurait pu avoir l'impression par leur nombre qu'on n'en arriverait jamais à bout. Mais le nombre ne rebutait pas les sévères hommes de foi. Une par une, ils extrairaient les pêcheresses et leurs complices de leurs tanières.
Au lieu d'être une source de tentation, elles porteraient témoignage.
De la force de l'Église, de sa sagacité mais aussi de sa capacité de pardon. Car une fois dénoncée, pourchassée, prisonnières, questionnée. Une fois l'aveu noté. Après avoir accepté leur juste châtiment et l'ayant subi avec docilité et résignation, l'Église pouvait enfin prier pour elles afin que dans la balance qui les pèserait, leurs larmes et les siennes s'ajoutent pour contrebalancer toute une existence de scandale.
La vengeance n'était pas le but de l'Église mais la justice. Si elle était sévère, c'était par amour.
Et dans les caves voûtées, au bas des escaliers de pierre, auprès des robustes colonnes, éclairées par les lampes à l'huile, dans les grand espace cérémonial, étaient rangés les chaises de bois, les lits de bois, leurs cables tressés, les chaînes, les mécanismes et les treuils, les instruments de fer.
Les pinces, les lames, les pointes, les ciseaux, les marteaux, les scies, de toutes tailles et de toutes longueurs.
Sur le corps nu des femmes, dans leurs corps sans vêtements, leurs corps fragile, immobilisée, soudé au bois, au cuir et aux fers, au travers de leur peau, de leurs muscles, de leurs nerfs, de leurs os, on extrairaient la vérité. Une à une.
Elles avouaient toujours.
Et dénonçaient leurs complices.
Que l'on allait arrêter.
Et qui avouaient.
Et qui dénonçaient leurs complices.
Et il arrivait souvent que juchée sur leurs échelles ou leurs chaises, entourées de chaînes, les coupables invoquent le pardon divin, demande encore une fois le pardon de l'Église - bien plus impitoyable que Dieu. Car pendant des années, elles avaient pu vivre sous l'observation de Dieu qui voyait tout et savait tout sans qu'IL intervienne, ceci faisant parti de son grand PLAN incompréhensible pour les humains d'ici-bas où chaque chose à sa place et sa cause et son but. Jusqu'à ce que l'Église, servante impitoyable du Divin intervienne. Elle n'aura pas la même clémence que Dieu.
Et la coupable remercie le tribunal de sa clémence car elle s'était déjà confessée, avait déjà avoué mais elle se confesse encore avoue de nouveau.
Comme si elle voulait retarder encore le moment terrible où son enveloppe terrestre brisée se séparerait enfin de son âme. Quelques pieds la séparant du bûcher et en plus de la distance, il y avait ses paroles qu'on n'osait interrompre tant elles étaient inspirées. Arrivera un moment où elle n'aura plus rien à dire, recherchera ses mots, ne les trouvera pas.
À ce moment, on s'emparera d'elle.
Dans quelques pieds, d'ici quelques pas ou reptations, dans un instant, elle serait punie et un moment après délivrée du poids de ses remords et de sa chair et un instant encore plus bref à la suite comparaîtrait devant le tribunal Divin où on jugerait encore une fois de la sincérité de ses remords.
Alors, on saurait parce qu'on sait tout, on saurait tout de ses secrets. Elle serait transparente. Même si l'Église, avec ses instruments et son active bonté avait tout fait pour savoir; Dieu avait des moyens et des méthodes infiniment supérieures.
Il lui restait à supporter avec courage l'épreuve qui l'attendait et surtout pas revenir sur ses aveux.
Si elle était chanceuse, on l'enduirait d.huile, de poix, de goudron, de souffre, de poudre ce qui faisait toujours un feu merveilleux au contact des flammes.
La foule serait émerveillé. Les enfants ravis. Car ils étaient nombreux. L'éducation, l'instruction, l'enseignement s'adressaient aussi à eux.
Toutes ces étincelles qui sortaient de ses robes.
Les hurlements étaient grandioses.
Quand les flammes puantes s'emparaient du corps tout entier.
Et les fumées noires dansantes.
Comme les anciens sacrifices offerts aux divinités anthropophages qui aimaient tant le sang, les graisses grésillantes et suintantes.
Comme lorsqu'on offrait des holocaustes.
On contentait ainsi la foule pour la briévité de la représentation.
Car on aurait pu tout aussi bien pour un sujet réticent, l'enchaîner au poteau et, seulement ensuite, mettre le feu aux ballots de pailles sous ses pieds. Cela prendrait du temps avant que le feu prenne aux bûches et fasse une véritable flamme. On pouvait encore faire durer le plaisir en mouillant sa soutane afin de ralentir la flamme, la faisant bouillir un certain temps.
Des milliers et des milliers et des milliers de femmes périrent ainsi alors qu'on expérimentait sur terre les souffrances de l'Enfer. Car ce dont on était témoin n'était rien comparé à ce que la criminelle subirait pour l'éternité en Enfer.
Leurs corps étaient le terrain de bataille des forces du bien et du mal. Il l'avait été dans leur vie et l'était encore lors de leur longue agonie.
Il y avait là un problème théologique jamais résolu et insufisamment commenté. Car si une servante de Satan était découverte, il était compréhensible que l'Église - ennemie avérée du Diable et de ses oeuvres - la massacre avec la plus grande rigueur dans l'intention d'extirper par ce terrible exemple toute tentation chez les esprits faibles, pourquoi le Diable devait-il collaborer?
Le rôle de l'Église était de guider ses brebies vers leurs morts et leur Salut. Pourquoi le Diable devait-il l'aider?
Ne disait-on pas que le chemin du Ciel est un sentier escarpé sur le bord d'un précipice où on rencontre que des ronces et des orties et de l'herbe à puces mais tout en haut de la montagne, tout en haut de la montagne, enfin.
Alors que le chemin de la perdition est large, facile, confortable.
Pourquoi sa servante devait-elle souffrir dans l'Enfer au lieu d'être entouré d'affection, plongée à jamais dans un festival de vice et de douceurs comme les aime si bien les anges déchus?
Le Diable était-il le serviteur de Dieu?
Son bourreau personnel.
Ou celui de l'Église.
L'enfer, le zoo des tortures prolongeant celui qu'utilisait l'Église ici-bas? Selon quel principe, à partir de quelle logique?
Ceci était mal expliqué.
Et si Satan était si terrible pourquoi ne défendait-il pas ses adeptes?
Pourquoi aucun moine Dominicain ne s'effrayait?
Et s'il y avait eu des rébellions et des révoltes qui avaient entraînés quelques décès chez les moines lorsqu'ils venaient trier le bon grain et le mauvais dans un village; ce n'était que des crimes sordides commis par des ignorants. Jamais Satan n'avait menacé ni ne s'était vengé de tout le tort qu'on lui faisait.
Et s'il était si faible pourquoi se donner tant de mal pour de pauvres folles prises dans leurs vapeurs habituelles?
Et à quel point était-il faible?
Était-il vraiment sans force?
Peut-être qu'il existait à peine ou si peu ou n'existait tout simplement pas?
Et si le MAL existe sans sa présence, MAL que l'on peut observer partout et depuis toujours, si on observe ses servants et ses propagateurs, tout ceux qui le provoquent et en profitent, on remarque souvent qu'il provient de l'Église et des autres puissances terrestres, tout ce qui est fort et sans pitié, s'abattant toujours sur les faibles.
Et il ne faut pas voir ce genre de chose et encore moins le penser.
Alors, s'il faut utiliser ce mot pour décrire et résumer une action et un phénomène, qui était le véritable Satan?
L'Église était-elle le temple de Dieu?
Ou des pervers en soutane sentant la sueur avec des aiguilles qui cherchaient dans tous les plis du corps féminin la tache signalant le sceau de sa conversion. La tache insensible qu'il fallait trouver et qui prouverait sa déchéance.
Il valait mieux ne pas penser à tout ça et elle n'y pensait pas tout le temps.
Elle en rêvait parfois.
Comme si la mémoire organique agissait au travers de ses articulations.
Il lui arrivait de lui en parler à son réveil.
Mais la plupart du temps, elle se taisait. Il ne pouvait que l'observer se débattre comme sides mains ennemies s'emparaient d'elle. Comme si elle était sans force.
Il ne pouvait qu'ajouter d'autres couvertures sur elle pendant qu'elle vivait une autre mauvaise nuit.
Parce qu'elle avait toujours froid.
Même si, étrangement, elle était très chaude. Brûlante.
Au réveil, elle lui dira encore qu'elle gelait.
Aussi chaude que le chien que monsieur Dickson utilisait comme pouf lorsqu'il regardait la TV ou lisait.
Les pieds confortablement étendu sur son dos.
Le chien ne semblait pas éprouver de désagréments. Par contre, la petite blonde y trouverait probablement à redire. Et, prudamment, il évita de lui suggérer cette bonne habitude.
*
9.10 janvier 2013. État 2
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
__________________________________________________________________________________________________
Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
___________________________________________________________________________________________________