Henry Dickson assis sur sa chaise berceuse sur son perron de sa maison voit arriver au bout du chemin de terre la MINI Cooper rouge de la petite blonde. Rouge. La seule MINI du village. Rouge en plus. Au cas où on ne serait pas sûr.
C'est une belle journée d'automne, aussi chaude qu'une journée d'été. Elle se stationne devant la maison, sort ses petits petons chaussés de ballerines. Et a une jolie jupe. Courte comme d'habitude.
Debout, près de son auto, elle se fait admirer.
_ Je ne savais pas si, pour l'occasion, je devais mettre un pantalon ou une robe ou une jupe. Puisqu'il fait beau.
_ Il faudra peut-être utiliser une échelle, on tirera au sort pour savoir qui descendra le premier.
_ Quelle perversion sexuelle as-tu encore imaginée?
_ Ce n'est pas moi. À toi de me dire qui?
Lui fait signe d'entrer, arrivée à ses côtés, se tasse pour lui faire de la place en tenant la lourde porte.
Elle sourit en pensant que si on comptait la différence de poids et de grandeur et de force - toutes contre elle- il pouvait lui faire très mal s'il le voulait et elle ne pourrait ni l'en empêcher ni se défendre. Et personne ne savait qu'elle était ici. Il aurait donc tout le temps de faire ce qu'il avait envie. Si l'envie lui prenait.
Elle le regarda dans les yeux. Souriant.
Il lui rendit son regard. Elle avait vraiment de très beaux yeux. Compréhensible que la Terre soit peuplée d'enfants.
_ Qu'y a t-il de si surprenant aujourd'hui? Il est vrai que cette maison regorge de mystère. Est-ce que ça aurait un rapport avec ce qu'on a découvert en haut?
_ Aucune idée. À toi de me le dire?
Comme aucun n'avait d'idée supplémentaire au sujet de ce qui s'était passé en haut, ils conclurent d'un commun accord sans mot dire (signe de complicité qui s'intallait peu à peu) qu'il valait mieux ne pas en parler. Et en parler aurait été pour dire quoi et à qui?
Étant un Pyrrhonien de stricte observance, monsieur Dickson avait conclu que ne sachant rien ou ne sachant que le peu qu'il avait découvert (et elle à sa suite) qu'il valait mieux n'en rien penser et remettre toute pensée à ce sujet à une date ultérieure, le temps ou le hasard ou le destin amenant un supplément d'information.
Ils avaient pris la précaution de faire disparaître ce qui aurait pu être embarrassant. En fait, c'était comme s'il ne s'était jamais rien passé. En haut. Un autre petit secret à partager. Et elle partageait si bien.
Monsieur Dickson se dit que s'il avait 20 ans... C'était une torture de la voir. Une douce torture et elle torturait si bien.
Sa jupe au tissus léger volait doucement et ses petits souliers faisaient tot toc, un petit toc toc sur les poutres et les madriers de bois sec du plancher.
_ Où m'emmènes-tu cette fois?
Il s'inclina et comme un brave et honnête serviteur lui fit signe des bras afin de lui désigner la direction à suivre.
_ La cuisine?
Sans rien dire, il continuait à montrer la marche à suivre
_ Tu t'es mis à la cuisine? Mon coeur est trop fragile pour supporter un tel exploit. Même si ce n'est pas mangeable, je suis polie et bien élevée et je serais polie et bien élevée et dirais que c'est bon. Docile et soumise comme se doit de l'être toute femme. Comme une femme à son premier amant afin d'éviter qu'il foute le camp au lieu de s'améliorer les prochaines fois. On ne peut rééduquer chaque homme à chaque fois, c'est épuisant. Afin qu'un jour, on fête ses prouesses.
_ Que de pensée là-dedans.
_ Oui. Ça pense tout le temps. Je n'ai plus un moment de libre à force de penser.
_ Très bien, alors concentre aujourd'hui tout ton Q.I. que tu dis impressionant à ça
Et il lui montra ça.
Le grand trou dans la cuisine près du mur du nord. Il avait de nouveau dévissé les madriers. Un grand trou scié soigneusement, bien carré. Presque énorme. Invisible une fois les planches reposées dessus. Et encore plus invisible une fois l'armoire installée sur ce qui servait de trappe. On concluait donc que ceci ne devait pas servir souvent. 2 fois. Lors de l'installation définitive. Et la dernière lors de la déconstruction définitive. Impossible de recommencer par la suite parce que l'armoire serait en pièces. On aurait pu la reconstruire, bien sûr, mais en y mettant presque autant de temps qu'une neuve. Et ceci laisse des traces. Difficiles à effacer. Ceci prend du temps. Ceci fait du bruit. Et toutes ces choses sont contraire à un secret bien gardé.
On ne pouvait donc aller et venir en bas et en haut qu'en cas de nécessité absolue. Une nécessité vitale. Une fois. Il fallait donc définir ce que c'était que cette nécessité absolue. Et si le plan prévoyait installation et déconsctruction, il n'avait jamais été mis en application. Une fois construite, l'armoire était restée en place. Pas une planche n'avait bougée depuis... depuis... Les traces montraient que jamais l'armoire n'avait été déplacée depuis sa construction. Qui remontaìt à... à... Comment savoir?
Quelque chose était allé de travers. Ou la personne qui avait installé ceci et pris tant de précaution avait eu, dirait-on, des malheurs. Ou un seul. Suffisant pour mettre un terme à ses projets et à ses espoirs.
Ou c'était un secret. Encore. Un autre. Caché une fois. Et qu'on laissait à la personne assez futée pour le découvrir. Caché à jamais si nécessaire.
Et les locataires et habitants successifs de la maison n'avaient jamais eu d'épouses dépensières amateures de rénovations ou de relooking. Ou s'ils en avaient eu une, ceci lui était aussi vite passé par la tête que sorti parce que des soucis plus urgents avaient peut-être remplacés cette idée?
Elle approchait précautionnemeusement du trou (mais la curiosité, innée chez elle, l'emportait sur la peur tout aussi innée de l'inconnu) qui aurait pu être l'ouverture d'une trappe s'il y avait eu une trappe. Une trappe aurait été trop simple. Trop facile à chercher, à découvrir, à trouver. Tandis qu'un plancher sur un plancher dans un plancher, au milieu d'un plancher.
Un trou bien carré. Bien découpé dans les madriers. Et tout noir en bas.
Elle se pencha avec prudence et retenue.
_ C'est tout noir en bas.
_ J'avais remarqué.
_ Il n'y a aucun souffle de vent en bas sinon je l'aurais senti sur mes jambes. J'ai la peau très sensible, je ne sais pas si tu es au courant?
_ J'imagine. J'imagine très bien.
_ Donc pas d'ouverture. Mais ça ne sent pas l'humidité.
_ Ou le tombeau
_ Je n'osais le dire.
_ Tu es descendu?
_ Pour te gâcher la surprise. Je sais que tu sais lire dans mes pensées. Tu aurais tout de suite deviné ce que j'avais découvert. Et j'avais besoin d'un cobaye au cas où il y aurait des risques.
_ Et tu as pensé à moi?
_ Tu es curieuse, donc ce ne sera pas un gros sacrifice de descendre. Tu n'es pas peureuse donc rien ne t'empêchera de descendre. Et tu portes une jupe, si je descend le premier...
_ J'ai des culottes blanches et je n'ai pas mes règles aujourd'hui.
_ Oui, probablement, mais le savoir n'est jamais aussi bien que le voir.
_ Je ne vois pas d'échelle, comment on fait pour descendre?
_ On ne voit rien en bas même avec une Maglite. Mais celui ou ceux qui ont fait ça, ont prévu le coup. Il fallait éviter de traîner une échelle, il y en a donc une. Et voilà.
Monsieur Dickson éclaira les rebords du trou avec sa lampe de poche puis se mit à genoux et à tâton suivit les coupures des madriers jusqu'à ce qu'il trouve au bout d'un de ses doigts un anneau et sur l'anneau une rondeur, un noeud suivi d'une corde nouée, une amarre, qu'il dénoua, détacha et tira. Un noeud de marin facile à délacer si besoin. Il fallait aller vite. La personne qui avait installé cette amarre était donc un marin, un ouvrier de chantier maritime, du temps où on épissait encore. Une longue corde devint visible. Légère comme une corde. Elle servait à quoi? Il y avait qui au bout? Puis la corde devint plus lourde et la lumière montra les formes d'une construction de bois, une clôture, une barrière ou échelle de bois. Définitivement plus logique. Il agrippa un des motants. Une fois tirée suffisamment, le bout de l'échelle devint très visible et extrêmement logique. Il suffisait de l'appuyer sur une des côtés de la trappe. C'était solide et efficace.
De quelle longueur? Il tira l'échelle à lui et donna quelques coups pour frapper en bas le sol invisible. Il se pouvait que l'échelle soit pourrie, mangée par les fourmis gâte-bois mais il n'y en avait pas ici pas plus que de termites. L'échelle cogna sans vibrer. Toute d'un bloc. Du bon travail d'artisan. Aussi solide qu'au moment de sa construction.
_ Qui descend le premier?
_ Je te l'ai dit: les femmes d'abord. En cas de risque et si tu cris, je bouche le trou. Le temps qu'on te dévore, je pourrais fuir.
_ Charmant! Mes amies disent que la galanterie se perd et qu'on ne trouve plus aucun chevalier prêt à se sacrifier pour sa belle. Triste époque.
_ La faute à qui? L'homme veut être votre égale ou il vous a permi d'être la sienne et, depuis, il pleure, est proche de ses émotions et montre ses sentiments et en discute . Il a une maintenant une vie intérieure.
_ Comme je sens que je vais me fâcher et que c'est ce que tu veux, je vais descendre. De cette façon, si je péris ce sera avec pudeur et retenue sans qu'un homme reluque sous mes jupes.
_ Hurle avec modération. Souffre avec retenue. Comme tous les hommes, je suis devenus sensible et vulnérable.
_ Lampe!
_ De ma collection de Maglite. 2 batteries, c'est plus léger. J'en ai des 3 et 6 batteries D ou des 4, celles que la police utilise. Bon pour éclairer longtemps et parfaite comme matraque.
Pendant qu'il l'éclaire d'en haut - même s'il est midi et que la lumière entre à plein par les grandes fenêtre, on ne voit rien en bas. Et, tout en descendant, elle s'éclaire avec sa propre lumière. Rater un barreau de l'échelle serait déplaisant. Pire, ridicule. En quelque sorte, elle porte tout le poids de la féminité sur ses fragiles chaussures. Mourir, se casser les jambes, soit, être ridicule, risible, humiliée, jamais. Et comme l'échelle n'est pas jeune, elle écoute les craquements du bois avant de mettre tout son poids (léger tout de même) sur le prochain barreau.
_ Tu as tout compris. Comme tu es plus légère malgré que tu ais pris du poids récemment
_ Salaud!
_ Mais ça te va si bien. Il valait donc mieux que tu testes l'échelle avant moi. Quand tu seras en bas, tu me le diras. Si tu sens des tentacules ne te gène pas pour m'en informer. Je pousserai l'échelle du pied
_ Comment as-tu pu vivre si vieux avec une telle mentalité?
_ Alors
_ Je suis arrivée.
_ Et qu'est-ce que tu vois?
_ On est sur la terre. Comme pour le reste de la cave. C'est probablement le même sol.
_ Et si tu cesses de regarder le sol, qu'est-ce qu'il y a voir?
_ Aucune bête rempante pour le moment.
_ Tu me rassures.
_ Je vois des choses mais je ne sais pas ce que c'est.
*
13.14 sept. 2012. État 2
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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