Hier.
Monsieur Henry Dickson était à Montréal.
Il devait voir une ancienne amie.
Depuis qu’il était avec la petite blonde, le temps passait si vite, qu’il en oubliait ses amies si discrètes.
Sa fille avait disparu.
La police avait dit que c’était une fugue.
Sa mêre avait dit que ça ne se pouvait pas.
Son père n'avait rien dit parce qu'il n'était pas là. Il n'était jamais là.
Sa femme - la mère de la fillette - appela son époux, son mari - le père de la fillette - pour lui raconter. Lui dire de faire quelque chose. Il ne pouvait rien faire à ce moment. Il avait une importante réunion. Il était à Hong Kong ou Kiev. Ou quelque chose comme ça. Le décalage horaire. Mais il allait y penser.
Il avait des sentiments. Il aimait sa fille. Il ne tolérait pas, même à cette distance, que sa femme dise ou lui prouve qu'il n'aimait pas sa fille. Et sa femme, son épouse, la mère de sa fille. Parfois, il oubliait son nom. Et le nom de sa fille. Le décalage horaire. Il était peut-être à Dubaï.
Puis une porte-parole de la police avait dit qu’elle reviendrait.
La mère de la fillette à la suite de cette phrase se mit à pleurer. Elle n'avait jamais pensé qu'elle ne reviendrait pas. Qu'elle pouvait ne pas revenir. Avant que la gentille policière ne lui fasse prendre conscience de cette possibilité. Ou alternative. Ou catégorie.
Ensuite, il y avait eu une série d'ensuite. Celui-là était le combien ?
un sergent-détective était venu chez elle, disant qu’il était préférable de retrouver la disparue le plus vite possible car plus la piste devenait froide, moins on avait de chance de la retrouver.
Une fois qu’elle serait passée de la catégorie «fugue», «caprice d’adolescente bourgeoise surprotégée» à «disparue».
Tout était possible.
Et dans le mot «tout» il y avait un nombre infinie de possibilités effrayantes et répugnantes.
Quoique le mot «infini» soit manifestement exagéré. En fait, il n'y avait qu'un certain nombre de possibilités effrayantes et répugnantes.
Cette affirmation, probablement prouvable scientifiquement, ne suffirait probablememnt pas (quoiqu'on puisse essayer) à rassurer une mère triste qui ne cesse de regarder la photo de sa fillette posée sur ses genoux et sa jupe en faisant des tours de doigts sur ses yeux.
Elle pleurait aussi.
Ce qui arrive souvent.
Elle faisait les 2 choses ensemble ou une après l'autre. Regarder la photo. Dessiner le contour du visage avec ses doigts. Et pleurer.
Ce qui fait effectivement 3 choses.
Puis elle recommençait.
Donc, prudamment, on dira que «tout» n'était pas possible.
On comprenait - on comprendrait si on écoutait les paroles prudentes et mesurées des policiers - et il n'était pas sûr que la mère soit suffisamment sortie de sa bulle de tristesse pour écouter et apprendre.
On comprendrait donc que :
Les premières heures sont cruciales.
Et les premières heures s'étaient écoulées sans surprise heureuse ou drame et tragédie.
Mais, lentement, l'aiguille du compteur passait de fin rassurante à toutes les autres possibilités. Aucune n'étant meilleure que l'autre. Sauf que, mathématiquement, on se dirigeait vers une variété d'horreurs possibles et probables.
Rien de nouveau. Tous les types possibles d'abomination étaient classées quelque part dans les armoires métalliques de la centrale.
Tout était arrivé.
Enfin presque tout.
Au moins un certain nombre de fois.
Si c'était humainement possible. Le mot «humainement» dans cette phrase est déplacé. Donc. Si c'était physiquement possible, matériellement possible, c'était déjà arrivé.
Et, on avait, pour chaque cas, des photos pour le prouver, documenter l'événement.
Des photos.
Certaines particulièrement...
Quelques-unes particulièrement...
Les mots sont insuffisants.
La procédure voulait qu'on ne montre pas ces photos aux parents. Parce qu'il était arrivé qu'on les montre. Imprudamment. Sans réfléchir aux conséquences. Et placé devant les conséquences, on en avait déduit qu'il fallait modifier cette procédure. Ensuite, compte tenu de ce qui s'était passé, on avait adopté la procédure et un nouveau numéro de document modifiant la procédure précédante. La nouvelle spécifiant de ne pas montrer les photos aux proches.
Car si on ne pouvait montrer le corps. Raison qui avait fait qu'on avait pensé (insuffisamment, il faut le reconnaître) à prendre des photos et les montrer. Car on prenait toujours des photos mais on ne les montrait pas.
Sauf aux professionnels dont une particularité du métier exigeait qu'ils ne soient pas impliqués personnellement. Afin de ne pas être contaminés psychologiquement.
C'était une affaire à résoudre. Après elle, il y en aurait d'autres. Il fallait que leur esprit soint encore en bon état.
Un dossier.
Il y en aurait tant d'autres.
Et si on ne pouvait montrer les photos. Il fallait bien que quelqu'un identifie avec certitude le corps. Il fallait donc penser encore et mieux.
Et la mère, c'était généralement la mère qui hurlait le plus fort. Et longtemps.
Ces expériences malheureuses avaient, pour les raisons que l'on vient de préciser, amené les spécialistes à ne pas montrer ces photos.
Et à penser longuement avant d'exiger que la mère examine le corps à la morgue pour fin de vérification d'identité.
Encore une fois à cause des hurlements.
Il y a des sons de terreur et de désespoir qui sont difficile à supporter. Surtout s'ils durent longtemps.
Dans ce cas, lorsque la situation l'exigeait, lorsqu'on ne pouvait faire autrement, on prenait une des photo. Le visage suffirait. Et on la modifiait à l'ordinateur quelque peu afin d'enlever les détails les plus difficiles à supporter.
Un peu comme le thanathologue maquille le cadavre qui sera exposé au salon funéraire afin qu'il ait un «air reposé». Mots simples et expression choisie que les parents et amis qui défileront devant le cercueil ouvert se répéteront entre eux.
On dirait qu'il dort.
On dit souvent ce genre de choses.
On expliqua donc à la pauvre mère ce qu'on lui avait déjà expliqué. Non parce qu'elle n'avait rien compris mais ceci faisait parti de la procédure. Et à voir son air et la manière dont elle serait le petit cadre contenant la photo sur sa poitrine, il était difficile de dire si elle avait écouté, entendu, compris quoique ce soit.
Et la seconde équipe ne savait pas ce que la première avait expliqué. On voulait dire par là, que, cette fois, on allait...
Donc.
Il était aussi préférable de prendre soigneusement les indices ce qui ne semblait pas avoir été fait ou pas aussi soigneusement. méticuleusement, que la seconde fois où on les prélevait.
Et la mère remarqua les nuances mais ne tenta pas de protester pour ne pas frustrer les fonctionnaires de la justice. Qui pouvaient cesser de faire du zèle.
Être soigneux serait peut-être suffisant.
Et le second interrogatoire ou le troisième fut certainement plus précis que le premier. Et que le deuxième.
On avait les transcriptions du premier et du second et on lui posa les mêmes qusetions et lui fit commenter chaque ligne de ses réponses. On posa aussi d'autres questions.
Elle comprit que si on en était encore là, c'est qu'on n'avait pu aller plus loin. On n'avait pu trouver aucun suspect. Aucune piste. Aucun témoin.
Pas le moindre indice.
On espérait donc qu'elle se souviendrait depuis le premier entretien ou le second, de nouveaux détails qui les amèneraient vers une nouvelle piste qui les dirigereait vers un témoin providentiel et, peut-être, vers un individu louche.
Un indice.
Et, on espérait aussi qu'entre la visite de l'équipe d'enquêteurs précédente: des policiers de base. Qui prennent les dépositions. Et, une fois de retour au poste, consultent le régistre des personnes retrouvées les heures précédentes. D'abord les vivantes. Puis les mortes. Ensuite, transmettent la photo donnée par la mère et la description des vêtements du jour de la dispartion - qui ne correspondaient pas nécessairement avec ceux sur la photo - aux policiers (d'autres policiers) qui faisaient leurs rondes en auto. Et c'est à peu près tout.
On avait donc espéré.
Signe évident que la science, la technique et la méthodologie avaient échouées successivement devant la réalité.
Et il y avait plusieurs sortes de réalité.
Celle de la mère triste dans sa maison vide.
Celle de la fillette.
Impossible de dire en quoi elle consistait.
Celle de l'agresseur.
Si c'était le cas.
Celle de l'administration des services de police.
Il y a un budget pour chaque enquête. Chaque procédure a son coût. Les déplacements des agents et de leurs véhicules ont un prix.
Le temps coûte cher.
Chaque vie humaine, que ce soit pour un hôpital ou un poste de police a un prix qui va du raisonnable à l'absurde.
Pour les proches, que ce soit les parents de la victime du sort (maladie, virus, accident, défaillance d'un organe) qui aboutissent à un hôpital; on ne devrait pas limiter les soins en tenant compte de l'âge ou de la gravité de la défectuosité technique. Et l'argent ne devrait pas se mêler à la procédure médicale.
Idée absurde du point de vue du service de comptabilité de l'hôpital. Il y a un budget annuel. Qui sera réparti par services, étages, spécialités, corridors. Humain endommagé.
Il en va de même pour un poste de police.
Il y a des piles de dossiers.
Et le dernier, celui du dessus, restera en usage tant qu'un autre ne se posera pas dessus. Un certain nombre d'heures. Un certain nombre de spécialistes.
Une certaine quantité d'argent.
La science à l'oeuvre.
Les mathématiques et la comptabilité en exercice.
Avec la chance.
On espérait encore.
Tout ceci surpervisé par un comptable.
À un certain moment, on cherchera un nouveau nom qui se sera ajouté sur la pile. Tout en cherchant encore le nom précédent. Encore frais dans les mémoires. Qui sait, une heureuse suite de circonstances?
Mais dès qu'un autre nom se sera encore ajouté. Si rien de nouveau n'est arrivé pour le nom presque ancien.
Et, inévitablement, un nouveau nom s'ajoutera.
Encore.
La piste se sera refroidie et se dirigera vers la congélation pour le premier. Qui n'est pas vraiment le premier mais celui qui a été déposé sur la pile déjà haute. Recouvrant les anciens et les plus ou moins récents.
Et le voilà qui est arrivé au stade de la prière et du recueillement.
Statistiquement. Année après année, il y a des milliers de disparition. Le chiffre est stable.
Les disparitions réapparaissent régulièrment dans les semaines ou les mois suivant sous forme de cadavres. Accident de la route. De sport. De jeux stupides. Overdose d'alcool, de drogue, de vitesse. Noyade. Électrocution par un éclair. Petit cadavre dévêtu probablement victime de différents types de maniaques.
Il y a d'autres catégories de disparus qui réapparaissent.
Il y a les repeentirs heureux. Les larmes du fuyard qui revient à son domicile. Parce qu'il a découvert qu'il ne savait où aller. Qu'il avait faim.
Que le monde est grand et qu'il est tout petit.
Il y a des gens qui font des sudokus, du scrabble, des mots croisés ou participent à des pools de hockey pour se désennuyer. Je bois mon thé et je fais un quart d'heure de géopolitique. Et, en attendant la prochaine guerre mondiale - aujourd'hui, mardi 3 février 2015, il n'y a pas encore de guerre mondiale - j'écris des histoires de fantômes.
HISTOIRES DE FANTÔMES
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Vers minuit, à la lueur de la chandelle, monsieur Henry Dickson, devant l'âtre où brûle des bûches d'érables et de vieux parchemins, se penche sur son écritoire. Tout est tranquille dans la grande maison, tout semble dormir et, soudain,
il y a ce bruit.
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